Au Moyen-Orient, le food power contre la dépendance alimentaire
La revue Moyen-Orient consacre son numéro de janvier 2024 aux agricultures du Maghreb, du Machrek et du Golfe persique. Elles doivent nourrir des populations qui n’ont jamais été aussi nombreuses, dans un contexte de contraintes croissantes : des territoires avec 7 % seulement de terres arables contre 10,6 % en moyenne mondiale, des périodes de sécheresse plus longues et plus fréquentes qu’ailleurs, une moindre disponibilité en eau.
L’agriculture a souvent été enrôlée dans les politiques de puissance des États de la zone, soit qu’ils aient voulu priver leurs adversaires de l’arme que constitue l’approvisionnement alimentaire (en engageant un développement hydroagricole, comme l’Arabie saoudite à la suite de la guerre de Kippour), soit que leurs actions aient consisté à raréfier l’eau disponible pour l’irrigation dans les pays voisins. Cette « hydrohégémonie » concerne par exemple l’Égypte, à l’encontre des intérêts éthiopiens, et d’autres zones où l’agriculture participe des tensions géopolitiques.
Les enjeux liés à l’eau et à l’accès à la terre en Israël/Palestine
Source : Moyen-Orient, n°61
Divers focus mettent en évidence la diversité des stratégies nationales mises en œuvre pour répondre à ces défis. À la suite du blocus qu’il a subi de 2017 à 2021, le Quatar a développé un secteur agricole et agroalimentaire ex-nihilo. En 2018, 24 000 vaches ont été importées pour construire la ferme Baladna et garantir l’approvisionnement en produits laitiers. Depuis 2023, des investissements sont réalisés dans la Food tech (startup Innovafeed, etc.), le stockage de denrées et la construction d’infrastructures logistiques portuaires, mais aussi dans la modernisation des marchés de gros. L’Arabie saoudite se caractérise, elle, par les oscillations de sa politique agricole. Après avoir irrigué massivement des terres désertiques, pour que s’y installent des exploitations très subventionnées, l’État a mis fin à ce programme coûteux en 2008. En 2016, le plan de diversification post-pétrolière Vision 2030 a favorisé le stockage des denrées importées, conduisant la Grain Silos and Flour Mills Organization à porter à 2,7 millions de tonnes la capacité des terminaux céréaliers locaux. À cette stratégie s’est substituée, depuis 2022, une valorisation agricole et touristique des palmeraies oasiennes.
Du côté du Maghreb, le développement des signes officiels de qualité a conduit aux labels « Agneau laiton » et aux deux IGP « Viande d’agneau Beni Guil » et « Fromage de chèvre de Chefchaouen ». La complémentarité entre élevage et production arganière (exportations pour l’industrie cosmétique) est aussi soulignée, la seconde fournissant une alimentation aux animaux (figure).
Des complémentarités entre la production de l’huile d’argan et l’élevage caprin
Source : Moyen-Orient
Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective
Source : Moyen-Orient