La Chine au risque de la dépendance alimentaire, Jean-Marc Chaumet, Thierry Pouch

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Faute de bien le connaître, l’Empire du Milieu subjugue ou fait peur, surtout à propos de la question alimentaire, qui charrie des réflexes ethnocentriques et malthusiens. C’est dire l’intérêt de ce livre très documenté, aux démonstrations précises, qui offre une analyse approfondie de la dépendance alimentaire chinoise, depuis ses origines antiques jusqu’à ses manifestations les plus actuelles. Croisant approches historique et économique, les auteurs mobilisent également de nombreuses connaissances agronomiques, politologiques et géostratégiques.

La Chine n’a pas attendu d’avoir 1,4 milliard d’habitants pour craindre les famines et faire de sa sécurité alimentaire une priorité stratégique. Depuis de nombreux siècles, les penseurs et gouvernants placent l’agriculture et l’approvisionnement des populations au cœur de la gestion des royaumes. La capacité de production agricole et la circulation des grains y ont toujours été vues comme des conditions de la richesse collective, de l’ordre social et de la stabilité politique.

Bien que l’autosuffisance soit une préoccupation profonde et lointaine, les choix faits après 1949 ont en réalité contribué à accroître la dépendance alimentaire. Oscillant entre planification autoritaire et autonomie locale, la primauté a été donnée à l’industrie lourde. Le secteur agricole, sous-équipé et idéologiquement suspect, devait seulement libérer de la main-d’œuvre et offrir aux ouvriers et aux urbains des produits à bas prix. Après l’échec du « Grand bon en avant », prônant de « compter sur ses propres forces », à l’origine d’une profonde disette et de 30 à 50 millions de morts, les autorités se tournèrent dans les années 1960 vers des importations massives, puis, à partir des années 1980, vers une intégration croissante dans le commerce agroalimentaire mondial.

Aujourd’hui, la politique agricole chinoise, les contraintes agronomiques et géophysiques, l’instablité des productions animales et végétales, ne permettent pas de répondre aux évolutions qualitatives et quantitatives de la demande intérieure, provoquées par l’urbanisation, l’élévation des niveaux de vie et l’affirmation d’une vaste couche moyenne consommatrice, éduquée, exigeante, privilégiant la sécurité sanitaire. Bien qu’il soit devenu une des premières puissances agricoles mondiales, le pays est durablement installé dans la dépendance alimentaire.

Reste à savoir comment l’État, qui continue à jouer un rôle fondamental, pourra desserrer cette contrainte. Pour l’instant, sa réponse consiste à combiner plusieurs priorités : préservation des surfaces agricoles, innovation technologique, protection de l’environnement, maintien des agriculteurs en améliorant leur revenu, importations modérées, investissements fonciers à l’étranger, achats d’entreprises, etc. Demain, ces actions ne seront peut-être pas suffisantes et, dans la mesure où la Chine est une composante fondamentale du processus de mondialisation, sa volonté de sécuriser ses approvisionnements pourrait déboucher sur des rivalités, voire des conflits, autour de la maîtrise des ressources agroalimentaires de la planète.

Bruno Hérault, Centre d’études et de prospective

Lien : Presses universitaires de Rennes

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