Abattage des bovins, contrôle de l’état de conscience et organisation du travail

Paru dans la revue Activités en octobre 2024, un article de F. Jourdan (université de Montpellier) s’intéresse à l’organisation du travail sur les chaînes d’abattage. Le sociologue a réalisé des entretiens avec des responsables d’établissement et des inspecteurs en abattoir. Il a aussi observé les étapes de contention, d’affalage et de levage, dans douze sites de tailles différentes. Les saignées étaient réalisées avec étourdissement préalable ou, par dérogation dans le cadre du rituel musulman, sans étourdissement.

L’article retrace d’abord l’histoire des contrôles de protection animale dans les abattoirs français. L’étourdissement est une obligation réglementaire depuis 1964, renforcée notamment en 2009. Réalisé avec un pistolet à tige perforante, il interrompt le fonctionnement du cerveau et minimise les souffrances, tout en protégeant les employés contre les coups d’animaux pesant plusieurs centaines de kilos. Dans le cas de l’abattage sans étourdissement, le bovin doit être immobilisé dans un équipement de contention adapté dont il n’est libéré qu’après confirmation de son état d’inconscience.

L’observation des signes de conscience ne va pas de soi et elle suscite des désaccords entre opérateurs et inspecteurs. Le délai varie et l’évaluation est souvent « traversée par une phase de doute » (figure). L’angle de vue et l’urgence empêchent de bien observer les signes cliniques et l’interprétation peut diverger entre observateurs « sur ce qu’un signe donné indique ou n’indique pas ».

Schématisation du processus de perte de conscience d’un bovin en abattage rituel
Source : Activités

Quelles adaptations les acteurs mettent-ils en œuvre pour concilier conformité réglementaire et fluidité industrielle ? Certaines sont établies de concert avec l’administration, et consignées dans des notes de service et des guides de bonnes pratiques. Il s’agit par exemple de délais standardisés (l’animal doit rester immobile un minimum de 45 secondes, etc.). Mais l’article repère d’autres ajustements réalisés pour ne pas nuire aux cadences. Ainsi, les responsables de chaîne simplifient le faisceau d’indices (mouvements, respiration, etc.) et conseillent aux opérateurs de se concentrer sur un seul indicateur « ultime », le réflexe cornéen. Enfin, les employés s’écartent des prescriptions, prennent des initiatives, font des arbitrages. Ils accélèrent le rythme une fois les inspecteurs partis ou réalisent le contrôle de l’état de conscience en zone d’affalage. L’auteur relève que la recherche d’un meilleur respect de l’animal peut être une charge mentale qui pèse sur les opérateurs, confrontés à des « injonctions contradictoires ».

Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective

Source : Activités

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