Conscience de genre et politisation dans les groupes d’agricultrices

Un article de Clémentine Comer (université Paris-Dauphine), paru en octobre 2024 dans la Revue française de science politique, s’intéresse à l’engagement des agricultrices dans des associations, commissions syndicales ou groupes réservés aux femmes. L’auteure a mené, dans la cadre de sa thèse, une enquête en Bretagne qui lui a permis d’assister aux réunions et activités de 15 collectifs, et de mener des entretiens avec 71 personnes. Elle est ensuite revenue à plusieurs reprises sur le terrain, de 2021 à 2023.

Les collectifs non-mixtes et les échanges « entre femmes » se sont développés dès les années 1970, dans le cadre d’une revendication de reconnaissance des droits professionnels. Les agricultrices s’appuyaient alors sur le mouvement féministe, qui trouvait lui-même un prolongement dans les politiques d’égalité (voir un précédent bulletin). Les groupes prennent aujourd’hui des formes variées et ils diffèrent suivant leur rapport aux questions de genre et aux institutions agricoles. Certains collectifs sont plutôt « conventionnels », voire « conservateurs », alors que d’autres sont en rupture de ban avec les organisations agricoles.

Pour chacun, elle dresse un profil-type des participantes. Les attitudes les plus « conformistes » sont adoptées par des filles d’agriculteurs qui reproduisent des « modèles parentaux fortement genrés ». Elles soutiennent leur mari-repreneur, s’occupent des enfants et de la maison, s’impliquent dans des associations à caractère social où elles privilégient les thématiques perçues comme plus féminines. Le deuxième profil est partagé par des filles d’agriculteurs issues de familles plus aisées. Leurs parents valorisaient l’indépendance et la capacité d’innovation, même sans perspective de reprise de l’exploitation. Enfin, l’idéal-type de la « paysanne sophistiquée » renvoie à des reconversions, après de longues études, de femmes issues de milieux urbains et politisées très à gauche, faisant « retour à la terre ».

Ces dispositions individuelles sont ensuite renforcées par le fonctionnement des groupes que les agricultrices rejoignent. Ainsi, les collectifs « liés aux institutions mainstream » privilégient la prise de parole et le témoignage personnel. Les aspirations à l’égalité ne doivent pas remettre en cause la division du travail sur l’exploitation et ces femmes évitent de se positionner dans les batailles syndicales. Au contraire, les deux autres profils sont enclins à contester les « arbitraires institutionnels » et les postures d’autorité. Pour les « paysannes sophistiquées », « renverser les hiérarchies sociales, économiques et de genre » est même, selon l’auteure, « constitutif de la manière de concevoir et d’exercer leur métier ».

Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective

Source : Revue française de science politique

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