Méthanisation agricole : acceptabilité, jeux d’acteurs et identités professionnelles

Sur la base de comparaisons menées en région Grand Est, une équipe de sociologues, économistes et chimistes a récemment publié un ouvrage destiné à dissiper certaines Idées reçues sur la méthanisation agricole. La parution a été accompagnée d’un séminaire, disponible en replay, et d’articles, notamment dans le journal AOC.

La méthanisation est un processus de fermentation anaérobie de matière organique dans une cuve, pour produire d’une part du biogaz (source d’énergie pouvant servir les objectifs de transition écologique) et d’autre part un digestat (utilisé comme engrais). Plusieurs chapitres présentent le fonctionnement d’une unité de méthanisation, les risques associés et les méthodes de mesure d’impacts. L’ouvrage s’intéresse aussi au point de vue des riverains et à la multiplication des recours contre les autorisations environnementales. De nombreux projets parviennent à concilier les intérêts divergents autour d’un objectif local partagé, mais leur « acceptabilité » renvoie aussi à « des débats plus larges sur la place des agriculteurs dans la méthanisation ».

Depuis le début du siècle, se sont succédés trois modèles articulant différemment procédés, substrats, financement bancaire et relations avec les distributeurs d’énergie. Dans un premier temps, la cogénération (production simultanée d’électricité et de chaleur, généralement pour l’autoconsommation), a été portée par des éleveurs cherchant à gagner en autonomie face aux agro-industries et à valoriser les effluents d’élevage. « Les relations de dépendance et de pouvoir » évoluent ensuite, dans les années 2010, avec l’entrée en jeu de céréaliers et de collectifs qui privilégient l’injection dans le réseau de gaz naturel. La maîtrise technique revient alors aux fournisseurs de procédés de purification. Enfin, au tournant des années 2020, avec la hausse des taux d’intérêt, les énergéticiens prennent l’ascendant et les agriculteurs sont cantonnés au rôle d’apporteurs de matière et d’épandeurs de digestat. La méthanisation agricole est alors de plus en plus perçue comme du greenwashing.

Selon les auteurs, ces jeux d’acteurs, mais aussi les évolutions observées en Allemagne, entretiennent une « vision manichéenne » opposant « paysans » et « agriculture de firme ». Sur le terrain, « les transformations du monde agricole ont plutôt conduit à une hybridation de ces deux figures, de nombreux agriculteurs mêlant ainsi des pratiques ‘’traditionnelles’’ et ‘‘modernes’’ sur leur exploitation », faisant leurs « des valeurs » nouvelles : importance de revenus stables, du temps libre et du loisir, maîtrise de l’empreinte écologique, etc.

Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective

Source : Cairn

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