Des lobbys au menu. Les entreprises agro-alimentaires contre la santé publique, D. Benamouzig, J. Cortinas Muñoz, Raisons d’agir, 2022

Écrit par deux sociologues, ce livre met en lumière les actions du secteur agroalimentaire français pour peser sur les décisions publiques concernant la nutrition et la santé. Basé sur un important travail de terrain, il couvre les discussions sur l’interdiction de la publicité pour les produits trop gras, sucrés ou salés en 2008, la mise en place du Nutriscore à partir de 2014 et les États généraux de l’alimentation, lancés en 2017. Outre de nombreux entretiens, les auteurs ont quantifié ces activités de lobbying à partir des « liens directs » déclarés entre les acteurs économiques du secteur (entreprises, fédérations, interprofessions, fondations, etc.) et d’autres univers sociaux (champ scientifique, décideurs publics, secteur associatif).

Les lobbys suivent trois lignes d’action, souvent imbriquées. Tout d’abord, bien en amont des réglementations, sur un temps long, ils visent la production des connaissances qui justifient les mesures de santé publique. Ces « stratégies cognitives » consistent à financer des recherches, des chaires de mécénat, etc. Ils peuvent aussi entretenir le doute sur des travaux contraires à leurs intérêts, notamment en matière de risque (effets supposés d’un produit sur la santé). Les auteurs pointent aussi différentes méthodes pour « recadrer les débats » sur la santé, en les déplaçant sur le terrain des choix individuels et de la liberté, ou sur celui de la culture (gastronomie). Par ailleurs, les « stratégies relationnelles », elles, visent plus directement les décideurs (élus, hauts fonctionnaires). Il s’agit alors de faire circuler des idées en participant à des groupes de travail ou à des instances de concertation, en proposant des amendements législatifs, ou encore d’établir des relations privilégiées avec les médias. Enfin, des stratégies dites « symboliques » s’efforcent de discréditer des adversaires ou de valoriser une image vertueuse, notamment dans les domaines du sport et de l’action sociale, à travers des fondations philanthropiques.

Loin de se cantonner à une dénonciation des lobbys, l’ouvrage donne à voir le « fonctionnement ordinaire » de notre société. Il propose des pistes de réflexion pour dépasser la seule lutte contre les conflits d’intérêts, aujourd’hui très développée, et engager des réformes de « transparence » plus systémiques (voir un entretien avec D. Benamouzig sur ce point).

Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective

Lien : Raisons d’agir

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