Réseaux sociaux et controverses sur les pesticides
Réalisée pour le compte de l’Anses, une étude du médialab de Sciences Po Paris s’intéresse à la prise de parole sur les réseaux sociaux. À partir de deux questions simples (Qui intervient ? Pour dire quoi ?), elle analyse deux séries de controverses, l’une sur les pesticides (glyphosate, néonicotinoïdes, SDHI, etc.), l’autre sur le déploiement de la 5G.
Les trois couches étudiées (médias du web, Twitter, Facebook) semblent régies par des dynamiques relativement autonomes (pas de synchronisation des pics d’attention). Les séries temporelles révèlent aussi une relation privilégiée entre sujets et espaces de publication. Ainsi, le débat sur la 5G, plus récent, serait plutôt mené sur Twitter, tandis que celui sur les pesticides a « élu domicile » sur Facebook, où se seraient notamment repliés les défenseurs de points de vue écologistes. Point original, l’étude examine le rôle d’une « galaxie rationaliste », regroupant les internautes parlant au nom de la science et de l’expertise. Elle nuance certains avis selon lesquels ceux-ci seraient largement politisés à droite (« libertariens ») et liés aux lobbies agro-industriels.
Les prises de position véhiculées par les tweets ont été regroupées en quelques grandes « perspectives ». Le sous-corpus sur les pesticides révèle une configuration très polarisée. Les « pro » (perspectives rationalistes et agroindustrielles) et les « anti » (perspectives écologistes et de lutte contre les pesticides) forment deux communautés peu reliées entre elles, aux « visions du monde incommensurables » (figure ci-dessous). L’étude distingue aussi, par une analyse lexicale et sémantique, des registres de critique associés à différentes étapes des débats (alerte, controverse, polémique et phase de normalisation).
Réseau des retweets entre les comptes du corpus « pesticides » répartis selon les perspectives adoptées
Source : Médialab
Mais les réseaux sociaux ne sont qu’une dimension, parmi d’autres, des dynamiques observées. Une conférence de restitution a donc confronté ces résultats à des travaux complémentaires. S. Brunier (Sciences Po Paris) et B. Kotras (Inrae) ont présenté un article (à paraître) sur les dénonciations de l’agribashing par le monde agricole, sur Twitter et dans les manifestations de rue. P. Guille-Escuret (ENS) a détaillé les parcours biographiques d’amateurs mobilisés pour défendre la vaccination au nom de la science. À propos des pesticides, J.-N. Jouzel (CNRS) a souligné que les divergences d’approche entre deux disciplines scientifiques, la toxicologie expérimentale (associée aux autorisations de mise sur le marché) et l’épidémiologie (qui s’intéresse aux effets d’expositions discontinues et prolongées), forment un terreau d’incertitudes favorable aux controverses (voir à ce sujet un précédent billet).
Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective
Source : Anses