Le Nutri-Score et la bataille cognitive des logos nutritionnels
Dans L’Année sociologique, D. Benamouzig et J. Blanck (Sciences Po Paris) reviennent sur la genèse du Nutri-Score. Depuis 2017, ce logo informe les consommateurs sur la qualité nutritionnelle des aliments. Facultatif, il est aujourd’hui couramment apposé en face avant des emballages. Mais l’article rappelle qu’une vive controverse a opposé acteurs publics et privés lors de sa mise en place.
En 2013, le président du Programme national nutrition santé et une équipe de chercheurs proposent un outil inspiré des Traffic lights (feux tricolores) de la Food Standard Agency du Royaume-Uni. Dès la première version, un système plus fin, à cinq graduations, est retenu. Cet agencement de propriétés perceptuelles (couleurs), sémantiques (données nutritionnelles) et syntaxiques (enchaînements de calculs déterminant un score) constitue, selon les auteurs, un « motif cognitif », c’est-à-dire un support devant influencer les décisions des consommateurs (achat) et des producteurs (formulation des produits).
Le matériau réuni, notamment des entretiens et des observations dans les ministères et les agences sanitaires, permet de retracer finement ce « moment de confrontation ouverte entre des acteurs d’ordinaire discrets dans leurs interactions » (voir à ce sujet un précédent billet). Le monde académique cède ensuite le pas à celui de la « science réglementaire », les administrations se livrant à un important travail d’opérationnalisation (algorithme, encadrement réglementaire, etc.).
Le front des opposants est éclaté, mais les auteurs soulignent la force des contre-propositions faites par la grande distribution. Arguments, études, démonstrations se multiplient, ainsi que les incertitudes sur ce qui serait efficace. Pour dépolariser la controverse et départager les propositions, le ministère de la Santé organise, en 2016, une expérimentation en conditions réelles d’achat (figure ci-dessous), confiée au Fonds français alimentation santé (FFAS), un think tank proche du secteur agroalimentaire. Après son lancement en 2017, le logo poursuit sa trajectoire, fait l’objet de spécifications (dépôt de marque), et est adopté par des plateformes (ex. Open Food Facts) qui contournent les refus d’utilisation. Enfin, il est décliné à l’échelle européenne et influence dorénavant les débats sur l’affichage environnemental.
Dispositifs testés lors de l’expérimentation
Source : L’Année sociologique
Par ailleurs, dans la Revue française d’économie, un bilan de la littérature sur la fiscalité nutritionnelle souligne que des « taxes saillantes », perceptibles par le consommateur dès le passage en rayon grâce à un logo, permettent d’orienter efficacement les comportements. Mais comme le souligne une note du Conseil des prélèvements obligatoires, se servir du Nutri-Score comme référence pour la taxation poserait des difficultés, et d’autres options sont privilégiées.
Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective
Source : L’Année sociologique