S. Marette, C. Lejars, (coord), Une recherche dé-coïncidente pour se préparer aux crises environnementales et alimentaires, postface de F. Jullien, Paris, Éditions Quæ, juillet 2024, 164 pages

Publié en juillet 2024, cet ouvrage propose de renouveler les questionnements sur les systèmes alimentaires, en « fissurant de l’intérieur » les problématiques et les méthodes dominantes sur lesquelles repose l’essentiel des travaux scientifiques.

Le premier chapitre précise le concept central de l’ouvrage, emprunté à F. Jullien : « dé-coïncider », c’est selon lui sortir des idées reçues et opérer un pas de côté favorable à l’identification de solutions nouvelles, alors que la recherche est jugée par les auteurs de moins en moins disruptive. Il est par exemple rappelé que l’opération étatsunienne Warp Speed, lancée en 2020 pour identifier un vaccin contre le covid-19, reposait sur des incitations à la prise de risque, à l’emprunt de chemins de traverse et à l’acceptation de l’échec, à telle enseigne que des laboratoires pharmaceutiques n’ayant jamais conçu de vaccin ont été intégrés au projet.

Le chapitre suivant propose de construire des espaces de créativité dans les organisations de recherche. On retiendra le projet de Babel Lab qui, sur le modèle des résidences d’artistes, accueillerait des scientifiques, des designers et autres talents, venus d’horizons divers, en mettant à leur disposition des moyens techniques pour produire des idées neuves. Le design est en effet vu comme un levier pour rapprocher la science et les marchés, car il peut favoriser l’appropriation des résultats scientifiques par le plus grand nombre et leur traduction dans la vie quotidienne.

Le troisième chapitre est un récit d’anticipation dans lequel, en 2084, à la suite d’un cataclysme, plus de 50 % des terres agricoles ont disparu. À partir du scénario le plus défavorable, les auteurs étudient ce que pourrait être une alimentation satisfaisante produite en sous-sol. Elle reposerait sur l’étude des métabolites et sur l’identification des mécanismes permettant aux plantes de s’adapter aux stress environnementaux (figure). Étendue aux espèces animales et microbiennes, cette « métabolomique » pourrait prédire et optimiser les services écosystémiques rendant la vie humaine possible.

La biologie prédictive et l’intelligence artificielle pour étudier les systèmes complexes sous contraintes
Source : Quæ

Le quatrième chapitre préconise de questionner systématiquement la modélisation scientifique. Si elle est jugée indispensable, elle achoppe sur un nombre de paramètre toujours croissant à prendre en compte : « qu’advient-il lorsqu’on ne peut plus circonscrire ce qui se trouve à gérer ? », interrogent les auteurs. De plus, les modèles privilégient les scénarios intermédiaires à ceux porteurs d’un risque extrême, jugés moins probables. Enfin, là où les représentations dominantes opposent les solutions agroécologiques et technologiques, l’ouvrage propose que les secondes, trop coûteuses pour l’environnement, deviennent des « valeurs d’option » mobilisables en cas de catastrophe seulement. La production dans des fermes verticales ferait par exemple partie d’un portefeuille de solutions et les nouvelles techniques génomiques seraient mises à la disposition des agriculteurs via des licences gratuites lorsqu’une perturbation majeure de la production adviendrait.

Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective

Source : Quæ

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