Frédéric Keck, Politique des zoonoses. Vivre avec les animaux au temps des virus pandémiques, Éditions La Découverte, octobre 2024, 238 pages
Dans cet ouvrage ambitieux, F. Keck (anthropologue, directeur de recherche au CNRS) décrit les spécificités des zoonoses, les grandes étapes de leurs découvertes par les scientifiques et leurs impacts sur la gestion des affaires publiques. En une centaine d’années, ces maladies animales infectieuses transmissibles à l’humain (rage, tuberculose, ESB, Ebola, grippe aviaire ou porcine, SRAS ou Covid) ont modifié les perceptions des risques sanitaires et les conceptions des rapports à la nature. Alliant débats théoriques, rappels historiques et expériences de terrain, chacun des six chapitres éclaire une facette de cette nouvelle ère zoonotique.
Des pages particulièrement intéressantes montrent comment, au début du XXe siècle, les priorités des autorités sanitaires étaient d’envoyer des virologues, « chasseurs de microbes », dans des contrées lointaines, pour qu’ils y découvrent agents pathogènes, espèces invasives, « réservoirs de maladies », « aires d’extension » et mécanismes de transmission à l’humain. Les colonies des pays européens furent les lieux privilégiés de ces tâtonnements scientifiques, colonisés et animaux étant soumis aux mêmes dominations et expérimentations, à la même politique de puissance et d’assimilation des colonisateurs.
Aujourd’hui, « l’esprit chasseur » a été remplacé par « l’esprit collectionneur » : il ne s’agit plus d’explorer in situ des réservoirs animaux d’infections, mais de disposer en laboratoire de banques de souches microbiennes pour l’expérimentation. Les virus sont accumulés, classés et entretenus, grâce à la chaîne du froid, et échangés entre divers points du globe. Ils sont étudiés dans leur structure et leur pathogénicité. Les simulations de leurs mutations permettent aux institutions de santé globale de se préparer aux pandémies et les exercices de modélisation pronostiquent la vitesse de diffusion des maladies.
Le livre explique aussi comment la crainte et la multiplication des zoonoses ont modifié nos représentations de la vie sauvage et du rapport Humain-Animal, ainsi que les conceptions de la santé planétaire et de l’environnement (développement d’une critique de la déforestation, par exemple). Les récentes pandémies ont changé nos visions du vivant et créé de nouvelles solidarités avec les bêtes. Solidarités passives lorsqu’il s’agit, en urgence, de comprendre les infections croisées entre espèces et de trouver des remèdes. Solidarités actives quand on utilise, comme en Asie, des « animaux sentinelles » pour détecter précocement les signaux d’alerte des pathologies qui pourraient affecter les humains.
Bruno Hérault, Centre d’études et de prospective
Source : La Découverte