Agriculture, irrigation et transferts d’eau en Espagne

Paru en septembre 2024 dans Hérodote, un article s’intéresse aux tensions autour du partage des ressources hydriques en Espagne. D. Salinas Palacios (Cassini Group Spain et chercheur associé à l’Institut français de géopolitique) examine les transferts d’eau entre deux bassins, celui du Tage au nord de la province de Castille-La Manche, et celui du Segura dans la région de Murcie (figure).

Les transferts d’eau Tage-Segura
Source : Hérodote

En Espagne, l’agriculture représente 80 % de la consommation d’eau. Le développement des systèmes d’irrigation a fortement contribué à la spécialisation régionale, rendant possible la culture, dans des zones arides, de fruits et légumes destinés à l’exportation (voir un article dans le Journal of Rural Studies). Construit sous la dictature franquiste, l’aqueduc Tage-Segura demeure aujourd’hui « essentiel pour soutenir l’agriculture intensive ». Ce système de réservoirs et de canalisations (300 km au total) est aussi « un point de discorde significatif » entre niveau national et provinces autonomes. Ainsi, en 2023, les Communautés de Madrid, Murcie et Andalousie, gouvernées par des coalitions de droite, mais également la Communauté Valencienne, de gauche, ont entamé une action judicaire pour contester la réduction des transferts d’ici à 2027 (destinée à mieux protéger le tronçon central du Tage).

Régions côtières et intérieures ont des intérêts divergents. La Murcie, dont les nappes phréatiques ont été surexploitées, en appelle à la solidarité interrégionale et à l’État pour soutenir son agriculture. Les think tanks agricoles estiment qu’une réduction des transferts de 50 % entraînerait une perte de 20 000 emplois et d’un milliard d’euros de productions. En amont, l’eau est également un enjeu prioritaire pour la Castille-La Manche, province qui cherche à se développer sur le plan agricole, notamment par l’irrigation. Ici, c’est une coalition de partis de gauche et régionalistes qui met en avant des arguments relatifs à la durabilité sociale et environnementale.

L’auteur relève que le transfert Tage-Segura pourrait devenir « non viable » d’ici à 2050, sous l’effet des évolutions climatiques. Il ajoute que « malgré l’abondance de données techniques, le débat politique sur la gestion de l’eau en Espagne reste fortement chargé d’émotion, exacerbé par de nouveaux clivages idéologiques et contestataires ».

Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective

Source :  Hérodote

image_pdfimage_print