Viande artificielle et agriculture : coexistence ou choc des cultures ?
À l’issue d’une recherche de deux ans, une équipe de la Royal Agricultural University (Royaume-Uni) a publié, en juillet 2024, un rapport sur les impacts potentiels pour l’agriculture d’une large adoption de la consommation de viande artificielle. Plutôt que de se limiter à une opposition entre viande d’élevage et viande de laboratoire, les auteurs ont envisagé leur coexistence dans la consommation future au Royaume-Uni, afin d’identifier les risques et les opportunités pour les agriculteurs.
Actuellement, seuls Singapour, les États-Unis et Israël ont autorisé la commercialisation de viande produite à partir de cellules animales. En Europe, une première demande a été déposée fin juillet 2024 par l’entreprise française Gourmey, pour un foie gras cultivé en laboratoire. L’anticipation, par la filière traditionnelle d’élevage, d’une diffusion plus large de ces nouveaux aliments, permet d’élaborer des scénarios d’adaptation et de repérer les opportunités économiques qui pourraient en découler. À l’opposé, les récentes interdictions de production de cette viande dans plusieurs États américains, ainsi qu’en Italie, sont révélatrices du poids des préoccupations agricoles sur l’opinion publique, sur les politiques et les réglementations. Dans le cadre de ce projet, des groupes de discussion incluant agriculteurs, industriels et scientifiques ont ainsi mis en exergue les risques liés au développement de la viande cellulaire, en matière de santé publique, de désertification rurale, de concentration du pouvoir de quelques grands industriels, etc.
Des stratégies possibles d’adaptation et les opportunités nées de la coexistence de ces deux modes de production de viande sont ensuite identifiées. À titre d’exemple, les déchets et sous-produits agricoles (paille, tourteau de colza, sang bovin, farine de corne ou de sabot) peuvent donner lieu à la fabrication d’ingrédients nécessaires aux milieux de culture de la viande cellulaire (glucose et acides aminés). Cette fourniture d’intrants offrirait un revenu complémentaire aux agriculteurs. De plus, d’après les résultats de la modélisation économique et de l’analyse de cycle de vie réalisées par les chercheurs, cela bénéficierait aussi aux industriels de la viande cellulaire : le coût de production serait moindre par rapport aux ingrédients actuellement utilisés et cela réduirait l’empreinte environnementale du processus de fabrication (figure).
Comparaison des différents impacts environnementaux de la viande artificielle selon les ingrédients des milieux de cultureSource : Royal Agricultural University
Jérôme Lerbourg, Centre d’études et de prospective
Source : Royal Agricultural University