Le temps des paysans : une série documentaire de Stan Neumann
Disponible en DVD et sur arte.tv jusqu’en novembre 2024, cette série documentaire s’intéresse à la place des paysans dans les sociétés européennes, depuis la chute de l’Empire romain. Le récit navigue entre un passé ancien, illustré par des animations, et des épisodes récents, pour lesquels existent des films d’actualité et des entretiens avec des agriculteurs français, italiens et roumains. Le réalisateur interroge le « processus de domination » qui maintient les paysans au bas de l’échelle sociale, ignorants, méprisés, caricaturés. Il souligne leur aspiration à « ne dépendre d’aucun pouvoir ».
Interviewé dans la première émission, C. Wickham (université d’Oxford) décrit la période qui va jusqu’à l’an mil comme un « âge d’or de la paysannerie ». Jouissant d’une autonomie inédite, cultivant parfois sans payer d’impôt, elle prospère malgré les lois qui divisent la population entre personnes libres et non libres (descendants d’esclaves et de colons). Par la suite, cette distinction s’efface avec l’apparition d’un nouveau statut, le servage, assorti de nombreuses contraintes (travail forcé, taxes, etc.). Le pouvoir de la seigneurie rurale se renforce. La lutte contre le paganisme sert de levier pour « reprendre le contrôle sur les campagnes ». Le documentaire décrit aussi quelques grands conflits : Grande Jacquerie de 1358, révolte anglaise de 1381, Guerre des paysans allemands en 1524, mouvement des enclosures et Révolution française. Il évoque leurs inspirations doctrinales, les dissensions, mais aussi des évolutions lentes, des résistances à bas bruit, des contretemps entre Europe de l’Ouest et de l’Est.
La série souligne enfin l’importance des savoirs et des imaginaires. Selon C. Wickham, « la construction du paysan comme être inférieur se renforce au fil du Moyen Âge ». C. Ginzburg évoque lui ses travaux sur le contrôle des croyances populaires par l’Inquisition. Sans minorer les famines, M. Montanari commente certains choix agronomiques judicieux, propres à sécuriser les revenus en tirant profit de la nature (sylvo-pastoralisme, etc.).
Le dernier épisode débouche sur la période contemporaine, lors de laquelle les paysans voient leur nombre se réduire drastiquement. Sommés de se moderniser, instrumentalisés par le discours nationaliste, ceux qu’on appelle maintenant « agriculteurs » prennent en main pour la première fois, selon E. Lynch, leur propre représentation, en organisant syndicats, grèves et manifestations (voir un précédent billet).
Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective
Source : Arte