Agribashing : la contre-mobilisation agricole face à la critique environnementale
Au cours des dernières décennies, l’agriculture est devenue l’objet de controverses de plus en plus intenses. S. Brunier (CNRS) et B. Kotras (Inrae) ont mené une étude, publiée en juin 2024 dans la revue Sociologies, sur la réponse des mondes agricoles à ces critiques.
Leur analyse revient en premier lieu sur l’histoire de la « communication positive ». Suite à la crise de l’encéphalite spongiforme bovine, les organisations professionnelles agricoles ont réfléchi aux moyens d’améliorer l’image du secteur dans les médias : création de l’agence d’information AFICAR en 2006, plateforme Agridemain en 2016, etc.
En parallèle, sur le réseau social Twitter, une communauté d’utilisateurs intéressés par les questions agricoles s’est structurée, en réaction à des critiques ressenties comme injustes, voire malhonnêtes. Un collectif informel a émergé entre 2012 et 2016, et débouché sur la création de l’association France AgriTwittos en 2017. Des entretiens avec les protagonistes montrent également qu’une « norme collective » s’est installée progressivement. Pour communiquer efficacement vers l’opinion publique, il est apparu qu’il convenait d’éviter la confrontation et le clash, et de privilégier des messages enthousiasmants présentant le quotidien des exploitants et leurs pratiques (voir illustration ci-dessous et un billet sur les agri-youtubeurs).
« Working out loud », une pratique typique du collectif France AgriTwittos
Source : Sociologie, annexes électroniques
L’article examine ensuite la controverse sur l’agribashing, qui prend son essor après la diffusion sur France 2, en 2016, d’un Cash investigation consacré aux dangers des pesticides. Le terme est rapidement repris par la FNSEA qui en fait, en 2018, un thème de sa campagne pour les élections professionnelles. Enfin, les pouvoirs publics créent en 2019, au sein de la gendarmerie nationale, la cellule Demeter, prioritairement chargée de réduire les intrusions dans les exploitations agricoles, puis qui étendra ensuite son action à la lutte contre l’agribashing, en particulier dans les médias. L’analyse de deux corpus de tweets publiés entre 2017 et 2022 permet de mieux caractériser l’appropriation de ce thème, en observant qui est moteur dans les conversations et qui communique avec qui.
Les auteurs soulignent enfin la tendance au recentrage des répertoires d’action sur le « positif », pour tenir à distance le registre victimaire. Le terme agribashing, jugé trop clivant, est rapidement délaissé. En outre, ils montrent que « le périmètre de la critique » détermine, en retour, « celui de la contre-mobilisation ». L’épisode catalyse un groupe aux contours inédits, un « monde agricole » plus large que les seuls agriculteurs, englobant tous les professionnels « para-agricoles » travaillant dans les « filières » : employés de l’agrofourniture, des organismes de conseil, coopératives, etc.
Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective
Source : Sociologie