Faire la différence sur le marché : les dégustations de vins rosés de Provence

S. Tabouret (EHESS) a consacré une thèse d’anthropologie à la création variétale en viticulture. Entre 2016 et 2018, elle a mené une enquête sur la mise au point de vignes résistantes au mildiou et à l’oïdium, pour produire des vins d’appellation « Rosés de Provence ». Elle retrace, dans un article d’Anthropology of food, paru en avril 2024, les efforts consentis pour « faire entrer le terroir dans le laboratoire ».

Le rosé est souvent considéré comme un vin technologique, « un sous-produit des vins rouges ». Dans les années 1990, pour répondre à une demande dynamique, la région a accentué sa spécialisation. La filière se dote en 1999 d’un centre expérimental comportant cave, laboratoire d’analyse et salle de dégustation. Néanmoins, le perfectionnement des techniques de vinification butte rapidement sur une limite : à l’échelle nationale, le goût des rosés converge, se standardise. Pour « dépasser l’image du produit industriel », affirmer une identité et faire la différence sur le marché, le centre choisit donc, dans un second temps, d’orienter ses recherches vers la « typicité non reproductible » des Rosés de Provence.

Mais cerner l’effet du terroir sur la qualité d’un vin ne va pas sans difficultés. L’article détaille alors un dispositif reposant sur deux jurys de dégustations à l’aveugle (verre noir, présentation en série, etc.). Le premier réunit des amateurs sans attache avec le milieu du vin, recrutés pour des séances hebdomadaires. Les jurés sont entraînés à reconnaître les arômes, à identifier certaines qualités, dans un souci de description « objective ». Le second jury est principalement composé de professionnels : vignerons, œnologues, conseillers et consultants, etc. La dégustation est d’abord guidée par une fiche de mise en bouche, permettant de noter différentes dimensions (figure), mais elle est ensuite plus libre, ouverte aux associations d’idées et tournée vers la recherche du terroir exprimé par le vin. De nouveaux qualificatifs sont alors suggérés, dont l’auteure souligne le « rôle performatif » : « produire de nouveaux descripteurs fait évoluer la pratique de la dégustation aussi bien que les caractéristiques du vin dégusté ».

Fiche de dégustation pour la mise en bouche, au centre expérimental du rosé (avril 2017)Source : Anthropology of food

Les deux jurys produisent des résultats complémentaires, parfois déconcertants, qui peuvent confirmer l’idée d’un effet-terroir (Côtes du Rhône et Rosés de Provence décrits de la même manière par l’analyse sensorielle du premier jury, mais identifiés par le deuxième, à juste titre, comme très différents). Pour finir, l’article mentionne une dégustation pour cerner l’effet possible de micro-zones pédoclimatiques, à l’intérieur de l’appellation. Cette dernière étape est menée avec circonspection. En effet, « aller au-delà des territoires définis par les AOC », c’est risquer de remettre en cause le signe de qualité dans sa forme actuelle.

Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective

Source : Anthropology of food

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