Sécurité économique, veille et influence : l’intelligence économique selon un rapport sénatorial
Les sénateurs Lienemann et Lemoyne ont remis en juillet 2023 les résultats de leurs travaux sur l’intelligence économique (IE) en France, un document qui considère comme stratégiques les infrastructures, biens et services essentiels garantissant la sécurité alimentaire. Les rapports Martre (1994) et Carayon (2003) avaient, en leur temps, souligné combien ce sujet, permettant de comprendre et d’anticiper les évolutions des marchés, était devenue indispensable avec l’avènement d’un monde multipolaire. Cependant, la quasi-totalité des limites du dispositif français qu’ils pointaient existent toujours aujourd’hui.
Les sénateurs indiquent que le dispositif de sécurité économique mis en œuvre par l’État a permis un contrôle des investissements étrangers et une meilleure protection du patrimoine matériel et immatériel des entreprises. Cependant, les autres volets de l’IE (veille stratégique et concurrentielle, influence pour faire valoir les intérêts des opérateurs économiques nationaux) n’ont pas été pareillement développés. Le dispositif actuel ne peut détecter et analyser les systèmes d’acteurs (coalitions, alliances, etc.) qui concourent à l’attribution des marchés, ou encore les tendances lourdes qui travaillent les sociétés en matière de consommations ou de représentations sociales.
Le rapport pointe en particulier, à la suite de C. Reve, ancienne déléguée interministérielle à l’IE, l’importance de la veille et de l’influence en matière de normalisation (normes ISO, standards élaborés par les organisations professionnelles, recommandations et bonnes pratiques dites soft law). La normalisation ayant trait à la toxicologie a de réels impacts sur l’activité des secteurs agrochimique, pharmaceutique et cosmétique. Pour les auteurs, il est essentiel de surveiller et mettre en œuvre des opérations d’influence dans ce domaine. En particulier, au niveau européen, la Commission peut demander aux organisations de normalisation de produire des référentiels pour accompagner la mise en œuvre du droit. De plus, il n’est pas rare qu’une norme devienne par la suite une régulation au sein de l’UE.
Les auteurs préconisent la mise en place d’un Secrétariat général interministériel à l’IE, avec une équipe pluridisciplinaire (économie, sciences sociales, technologie de l’information et de la communication) appliquant un programme : création d’un schéma directeur dans chaque organisme de recherche ; augmentation du plafond de la prise en charge des dépenses de participation aux réunions de normalisation des TPE-PME ; introduction de l’IE dans les comités de filières des secteurs stratégiques (agroalimentaire, infrastructures numériques, etc.).
Nathalie Kakpo, Centre d’études et de prospective
Source : Sénat