Bricolage et innovations à la ferme : le cas du houblon aux États-Unis

Dans Sociologia Ruralis, Matt Comi (Utah Valley University) consacre un article aux adaptations des itinéraires techniques du houblon, dans la vallée de Yakima (État de Washington). Rappelant la tendance lourde à la concentration du secteur et à la constitution de plantations ultra-mécanisées, il s’intéresse à de petites et moyennes exploitations qui refusent de s’engager dans la voie de l’agrandissement, tout en cherchant à maintenir la compétitivité de leurs produits. Une vingtaine d’entretiens et de journées d’observation avec ces cultivateurs, pour certains également brasseurs, lui a permis de documenter trois types de « bricolages » (tinkering). Cette notion vise ici la personnalisation d’équipements et, plus généralement, d’agencements productifs.

En premier lieu, les agriculteurs pratiquent l’auto-construction (presse à pellets, four, trieuse ; figure ci-dessous) et le détournement de matériels de seconde main (piquets téléphoniques utilisés comme treille). Cela leur permet d’améliorer l’appareil de production, sans acheter sur le marché des équipements neufs, onéreux et souvent conçus pour être rentabilisés à plus grande échelle. Un deuxième type de bricolage consiste en des expérimentations sur les cultures, en réponse aux demandes du marché des bières artisanales, versatile et prisant la nouveauté aromatique. Le houblon est une plante pérenne qui nécessite plusieurs années pour produire. Sur le moyen terme, entretenir un portefeuille de variétés permet de s’ajuster à la demande, voire de l’orienter dans le cadre de partenariats avec des micro-brasseurs, en jouant la carte d’un marketing basé sur le terroir, la typicité et le caractère local ou régional. Enfin, l’article s’intéresse à divers apprentissages liés à la conduite des cultures, notamment à l’introduction de nouvelles méthodes pour mesurer l’état de santé des plantes (analyse de sève à la place d’analyse de pétioles).

Trieuse de houblon auto-construite, d’un coût de 1 500 dollars, contre 10 000 dollars sur le marchéSource : Sociologia Ruralis

L’adaptation de leurs outils par les agriculteurs est un thème récurrent des études de l’innovation « à la ferme », par contraste avec celle produite en laboratoire et en stations agronomiques par le système de R&D agricole (voir à ce sujet un précédent billet). Cependant, l’article montre qu’il n’y a pas complète opposition. Les bricolages produisent, dans une constante « interaction entre conceptualisation et réalisation matérielle », des « changements incomplets et des transitions partielles », intéressants pour l’accompagnement et la résilience des exploitations, mais au bilan environnemental discutable. Par ailleurs, signalons un autre article sur les activités de bricolage/bidouillage dans le cadre de l’adoption de l’agriculture de précision en Australie, au Danemark et en France.

Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective

Source : Sociologia Ruralis

 

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