Phosphore et durabilité

Le numéro de Nature de novembre 2022 présente une analyse de l’usage du phosphore (P) sur les terres agricoles mondiales, de 1961 à 2019. Ces bilans inédits mettent en évidence l‘importance d’une gestion durable des ressources et des apports en phosphore en agriculture. Pour répondre à la croissance de la population mondiale, les apports en phosphore sur les terres arables ont été multipliés par quatre entre 1961 et 2019, bien au-delà des disponibilités terrestres durables. Ce déséquilibre dans le cycle du phosphore est problématique, vu la rareté et la concentration géographique des sources de phosphate minéral, la non-durabilité d’un tel usage minier, et d’un autre côté son accumulation dans certains sols et les problèmes de pollution de l’eau. L’analyse historique des bilans phosphore, combinée à un indicateur d’efficacité d’usage (PUE), permet de mieux comprendre les tendances passées et les enjeux pour l’avenir.

Les bilans nationaux sur cinquante ans montrent une trajectoire historique commune, lorsque les pays développent leur économie et intensifient leur agriculture. Après une phase initiale de bilan négatif, puisant dans le P présent dans les sols, la croissance économique et l’intensification de l’usage des intrants entraînent un excédent de phosphore (et une baisse du PUE), avant une phase d’intensification agricole plus durable, où la baisse des apports est souvent permise par l’accumulation des excédents antérieurs (cas actuellement en France et aux États-Unis). Le bilan phosphore est également corrélé au bilan d’azote, l’amélioration de la gestion des intrants bénéficiant aux deux cycles. Le ratio de prix entre engrais et produits agricoles l’influence aussi directement. Mais le PUE étant très différent entre les cultures (voir figure), l’assolement joue pleinement sur les bilans nationaux : si la Chine améliorait le PUE de chacune de ses cultures au niveau des PUE des États-Unis, son PUE total national serait inférieur de moitié.

Distribution de l’efficacité d’usage du phosphore par pays et par culture en 2017

Source : Nature

De ces bilans détaillés, les auteurs concluent à la nécessité d’une gestion durable du phosphore. L’assolement est pour cela primordial et il pourrait nécessiter une ré-allocation des cultures les plus exigeantes dans les régions en excédent. Enfin, le bouclage du cycle ne peut passer que par une meilleure gestion des fumiers et déchets humains, et une intégration territoriale accrue des cultures et des élevages.

Jean-Noël Depeyrot, Centre d’études et de prospective

Source : Nature

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