Une géographie du retour à la terre en Italie : migrer, cultiver, habiter

La thèse de Paula Dolci (géographe, université Montpellier III) permet de mieux comprendre les installations de néo-agriculteurs en Italie, très médiatisées mais « quasi invisibles » pour la statistique (installations non déclarées, informelles et progressives). Elle repose sur une enquête menée en 2016-2018 en Tuscie (campagne romaine) et en Sardaigne. Des entretiens avec 84 nouveaux installés sont complétés par des observations participantes, sur leurs exploitations, en tant que WOOFeuse (volontariat agricole).

Pour situer la tendance actuelle, l’auteure récapitule l’histoire des retours à la terre. La France, creuset d’« utopies nostalgiques » selon elle, sert de référence. De façon récurrente, dans les moments de crise, par exemple pendant la période fasciste et après Mai 68, des représentations fantasmées de la ruralité sont réactivées, avec rejet des modes de vie urbains et contestation du capitalisme. Dans cette lignée, les deux zones étudiées donnent à voir des reconversions en réaction aux inquiétudes environnementales, valorisant le travail de la terre et l’autonomie alimentaire, mais tirant aussi parti des nouvelles possibilités de mise en réseau offertes par internet.

Une typologie des néo-agriculteurs, combinant mobilités spatiale, professionnelle et sociale, distingue les « reconvertis » (qui changent de métier, mais pas de lieu), les « partis revenus », les « connaisseurs d’ailleurs » (issus du monde agricole, mais extérieurs au territoire) et les « allochtones débutants » (extérieurs aux deux). Suivant leur profil, ces nouveaux installés ont plus ou moins accès à différentes ressources : foncier, logement, connaissances agronomiques, capital d’autochtonie. Ces disparités ont des conséquences sur l’emménagement, les pratiques agricoles et l’insertion dans la vie locale. Le passage par le salariat ou le WOOFing constitue une étape fréquente dans ces trajectoires (figure ci-dessous).

Salariat agricole et installations successives dans la zone du lac de Bolsena (Tuscie)

Lecture : représentation du rôle d’une exploitation pionnière (dans le vin naturel) dans la concentration de néo-agriculteurs en Tuscie. Des contrats saisonniers permettent à des étrangers au territoire de découvrir celui-ci et l’activité agricole, avant de s’installer, formant progressivement un cercle social et amical.

La méthode de l’auteure renseigne peu sur les effectifs et l’ampleur de ces retours à la terre. En revanche, elle restitue les contraintes et contradictions qui pèsent sur l’ambition de mettre en œuvre, de façon concrète et immédiate, une « alternative ». « Bricolages, ajustements et compromis » sont omniprésents dans des démarches tiraillées « entre recherche d’autonomie et nouvelles aliénations » (pauvreté, rôle ancillaire des femmes).

Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective

Source : HAL

 

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