Des chaînes mondiales d’approvisionnement alimentaire plus fragiles et fragmentées
Un article de chercheurs de l’université de Géorgie (États-Unis), publié en janvier 2025 dans l’European Review of Agricultural Economics, analyse l’impact des chocs climatiques, de la pandémie de covid-19 et des conflits internationaux sur les chaînes d’approvisionnement alimentaire mondiales. Contrairement aux méthodes utilisées habituellement, les auteurs ont réalisé des modélisations via des diagrammes en réseaux, afin d’estimer l’influence relative des pays dans la chaîne d’approvisionnement, d’identifier les communautés commerciales et de mesurer la stabilité globale du réseau.
L’étude porte sur 13 produits alimentaires, entre 2010 et 2022. Les résultats pour 11 d’entre eux sont présentés dans les annexes alors que le corps de l’article se concentre sur les échanges commerciaux de blé et de porc (figure), entre les États-Unis, la Chine et la Russie.
Diagramme en réseau du commerce de porc en 2020
Source : Annals of Public and Cooperative Economics
Lecture : la taille des nœuds représente la valeur des exportations du pays, l’épaisseur des arcs correspond à la valeur des échanges entre les deux pays, les couleurs représentent les communautés identifiées par les auteurs.
L’analyse montre que les chocs idiosyncratiques (qui touchent un pays en particulier), tels les conflits, réduisent la stabilité des réseaux et fragmentent les communautés en groupes plus restreints. Ces modifications entraînent des pertes par rapport à la configuration optimale basée sur l’efficacité économique : coûts plus élevés, réduction des opportunités économiques (avec des conséquences plus importantes sur les pays « en développement »). À l’inverse, les perturbations systémiques (pandémie de covid-19, etc.) créent plutôt de la convergence et stabilisent les réseaux.
Les auteurs concluent que l’incertitude économique générale, liée aux événements survenus depuis 2010 (invasion de la Crimée en 2014, différends commerciaux entre États-Unis et Chine, Brexit, pandémie de covid-19, changements climatiques), a transformé les stratégies d’approvisionnement alimentaire préexistantes. De relations construites sur des critères économiques, elles sont passées à des réseaux régis par de nouveaux paramètres : recherche d’une plus grande sécurité alimentaire nationale, alliances stratégiques, géographiques ou idéologiques. Ils soulignent enfin que les sanctions économiques à l’égard de certains pays sont relativement inefficaces et qu’elles encouragent, via le friendshoring (réorientation des échanges vers des pays perçus comme amis ou non soumis à des sanctions), la réorganisation des chaînes d’approvisionnement voire le contournement des interdictions.
Julie Blanchot, Centre d’études et de prospective