Les marchés mondiaux de fertilisants au défi des tensions géopolitiques
Covid-19, guerre en Ukraine, hausse des prix de l’énergie : plusieurs publications récentes étudient le fonctionnement des marchés mondiaux des fertilisants, dans ce contexte perturbé.
En 2020, Russie et Biélorussie représentaient à elles seules 20 % des exportations mondiales de fertilisants. Les sanctions internationales, mais aussi des restrictions russes aux exportations, ont largement bouleversé ces flux. Elles ont entraîné une flambée des prix, lesquels étaient déjà particulièrement élevés, comme le rappelle l’USDA (figure ci-dessous). Ces marchés sont d’autant plus sensibles aux chocs (Ifpri) qu’une large partie des fertilisants transite à l’international (38 % de l’azote, 50 % du phosphore et 80 % du potassium) et que leur production est très concentrée. Au final, l’impact de la hausse des prix des fertilisants sur la sécurité alimentaire pourrait être supérieur à celui lié à la hausse du prix des céréales (Nature Food).
En 2022 les prix des céréales ont suivi la hausse des prix des fertilisants, qui restent en 2023 à des niveaux supérieurs à 2021
Source : USDA
Lecture : indices des prix des fertilisants et des céréales, 2021-2023 ; indice des prix en $ US, base 100 = 2010.
Du côté des fertilisants azotés, les marchés étaient déjà mis sous pression par le rebond de la demande après la crise du Covid et par des prix de l’énergie élevés, ces derniers représentant 70 à 80 % des coûts de production de l’ammonium. La guerre en Ukraine aurait impacté directement 22 % des exportations mondiales d’azote (Ifpri). Si les circuits d’approvisionnement ont été réorganisés (Ifpri), c’est avec des conséquences significatives sur les coûts de production des cultures et les assolements (augmentation des semis de soja aux États-Unis par exemple).
Les phosphates, dont cinq pays détiennent 85 % des réserves mondiales (Maroc avec le Sahara occidental pour plus de 70 %, Chine, Algérie, Syrie et Brésil), sont un enjeu majeur pour la sécurité alimentaire (NERC Open Research Archive) et l’environnement. En effet, on estime que moins de la moitié des résidus phosphatés sont recyclés au sein des systèmes alimentaires, engendrant des pollutions importantes. Si les tendances actuelles persistent, la demande en phosphore devrait dépasser l’offre mondiale en 2040. Cette vulnérabilité au phosphore (Frontiers), qui résulte de l’interaction entre l’exposition aux chocs et la capacité d’adaptation des filières, impacte les chaines de valeur agricoles. Une analyse en réseau des flux internationaux (Science of the Total Environment, figure ci-dessous) met pour sa part en évidence la vulnérabilité des pays aux risques de marché, dans la mesure où un petit nombre d’États exportateurs fournissent l’essentiel des phosphates échangés à l’international. Le choc de prix subi depuis 2020, entre hausse de la demande agricole, impacts du Covid (dans la principale région productrice chinoise) et tensions géopolitiques, révèle ainsi l’urgence d’améliorer le recyclage de cette ressource et la transparence des marchés, qui prennent insuffisamment en compte sa rareté (Research square).
Flux internationaux d’engrais phosphatés en 2020
Source : Science of the Total Environment
Jean-Noël Depeyrot, Centre d’études et de prospective