La croissance exponentielle des publications scientifiques en question

En septembre 2023, quatre chercheurs ont partagé sur l’archive ouverte arXiv leur analyse de l’évolution des pratiques de publication scientifique. Ils s’intéressent aux principaux éditeurs et revues, traitant entre autres de sujets de recherche agricoles, alimentaires, forestiers, environnementaux, etc. Ces publications sont une source d’informations importante, notamment pour l’activité de veille. Au cours des dernières années, le nombre d’articles a crû de façon exponentielle, alors que le nombre de chercheurs est resté stable et qu’une baisse du caractère disruptif des avancées scientifiques a été observée (voir à ce sujet un précédent billet). Cette dynamique traduirait une pression accrue sur l’édition scientifique et les auteurs ont élaboré des indicateurs pour la mesurer et l’interpréter.

Entre 2016 et 2022, les articles publiés dans le monde sont passés d’environ 1,9 million par an à 2,8 millions (soit + 47 %). Les cinq principaux éditeurs en termes de volumétrie (Elsevier, MDPI, Springer, etc.) ont contribué pour plus de 70 % à cette augmentation. MDPI et Frontiers se distinguent en multipliant les numéros spéciaux de leurs revues, constitués d’articles commandés aux chercheurs sur une thématique particulière, ce qui accroit le nombre de textes publiés (figure ci-dessous). De plus, le délai moyen de traitement des articles (de la première soumission à son acceptation après revue par les pairs) est passé de 150 jours en 2012 à 137 jours en 2020. Cette baisse est difficilement interprétable car elle peut refléter une plus grande efficacité du processus d’évaluation tout comme une moindre rigueur. Par contre, sa déclinaison par éditeur révèle de grandes différences : 37 jours en moyenne pour la validation d’un article pour MDPI contre 187 jours pour Nature. Par ailleurs, chez certains éditeurs, très peu d’écart du temps de traitement selon les articles a été mis en évidence, révélant une standardisation du processus d’évaluation, dont la durée ne dépend ni de la complexité ni de la qualité du texte à examiner. Enfin, un indicateur d’« inflation d’impact » reflète la prévalence du recours aux autocitations, entre articles d’une même revue ou de revues d’un même éditeur, pratique augmentant artificiellement leur notoriété. Par exemple, en 2021, 29 % des citations des articles de MDPI provenaient d’autres revues de cet éditeur.

Dans leurs conclusions, les auteurs invitent les différents acteurs de l’édition scientifique (chercheurs, éditeurs, financeurs) à collaborer pour éviter que certaines pratiques actuelles ne nuisent à la qualité de la connaissance scientifique publiée.

Évolution du nombre d’articles publiés dans les numéros ordinaires et spéciaux des revues, selon les éditeurs, en 2016, 2019 et 2022
Source : arXiv
Lecture : un carré représente 800 articles. La couleur bleue concerne les articles parus dans des numéros ordinaires de revues, la couleur rouge ceux parus dans les numéros spéciaux.

Jérôme Lerbourg, Centre d’études et de prospective

Sources : arXiv,Inrae

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