La politique forestière face au changement climatique : des arbitrages difficiles
Puits de carbone, source de matériaux permettant un stockage durable ou substitut de combustibles fossiles, la forêt est un élément clé de la lutte contre le changement climatique. Des publications récentes abordent cependant la difficulté qu’il y a à concilier le stockage du carbone par les peuplements forestiers et la réduction des émissions en accroissant les volumes récoltés.
Revenant sur le postulat habituel de la neutralité carbone de la récolte du bois, des chercheurs du World Ressource Institute ont estimé, dans la revue Nature, que les émissions liées varieraient de 3,5 à 4,2 Gt de CO2 par an, entre 2010 et 2050. Pour eux, le choix de récolter du bois ou de développer le stockage en forêt devrait être discuté, et des options de réduction des prélèvements étudiées. Sans adopter cette approche radicale, une équipe de chercheurs européens (article dans Forestry) a confronté les résultats d’études nationales et des simulations dans 10 régions forestières européennes types. Si le potentiel « réaliste » est de 90 Mm3 supplémentaires par an à l’horizon de 10 à 20 ans, la mobilisation de ce surplus, constitué surtout de feuillus et situé dans les petites forêts privées, est coûteuse et l’appareil de transformation inadapté (volume traité, essences, localisation des unités).
D’ailleurs, une autre équipe européenne alerte, dans Scientific Reports, sur les tendances divergentes de la croissance des arbres en Europe, sur longue période : ralentissement dans les massifs forestiers au sud, accélération au nord et stagnation dans une vaste zone centrale (figure ci-dessous). Ce gradient géographique nord/sud se retrouve dans les perceptions à 2050 des forestiers, recueillies pour une enquête publiée dans Forest Policy and Economics. En réponse, les stratégies proposées divergent également selon le type de professionnels : les gestionnaires publics, plus pessimistes, sont plutôt enclins à adopter une gestion proche de la nature, alors que les propriétaires privés et les industriels optent pour une intensification de la gestion.
Répartition des parcelles étudiées selon des classes de tendances de productivité de la végétation au cours de la période 1975-2017
Source : Scientific reports
Dans Ecological Economics, des chercheurs français, allemands et canadiens interrogent les stratégies de gestion au regard de la séquestration du carbone et de la récolte de bois, lorsque la fréquence des tempêtes et des sécheresses augmente. Ils montrent que le niveau de valorisation du stockage du carbone modifie la modalité de gestion la plus pertinente économiquement. Par ailleurs, l’utilisation de bois par le secteur de la construction peut conditionner la composition des peuplements forestiers et en renforcer la résilience, dès lors qu’une approche globale est adoptée (travaux publiés dans PNAS Nexus). Enfin, face à l’urgence, France Stratégie propose dans une note d’analyse de réorienter les soutiens pour privilégier la production de matériaux au détriment du bois énergie. Confrontés à la nécessité d’arbitrer entre les différents objectifs de politique publique (figure ci-dessous), les auteurs prônent la mise en place d’une planification allant de la gestion forestière jusqu’à l’usage des bois.
Comparaison, pour différents objectifs de politique publique, de stratégies de gestion forestière plus ou moins intensives
Source : France Stratégie
Muriel Mahé, Centre d’études et de prospective