La mémoire des gens de la terre. Chroniques de la France des campagnes. 1789-1914, J.-M. Moriceau, Tallandier, 2023

Après La mémoire des croquants (1435-1652) et La mémoire des paysans (1653-1788), Jean-Marc Moriceau (professeur émérite à l’université de Caen) consacre ce troisième opus à la période 1789-1914. Aussi riche et passionnant que les deux précédents, l’ouvrage compile et commente de nombreux témoignages sur la vie des campagnes, issus de sources variées : rapports administratifs, enquêtes judiciaires, documents notariés, délibérations municipales, procès-verbaux, écrits techniques, journaux intimes, inventaires, livres de comptes, presse, littérature, etc. L’ensemble offre une masse considérable d’informations, sur des sujets très divers, allant des techniques agronomiques, des intempéries et des récoltes aux modes de vie ruraux, aux traditions familiales et aux clivages politiques, en passant par des descriptions des métiers, des conditions de travail, des mouvements protestataires ou des comices agricoles.

Au-delà de cette profusion de faits et gestes, percent quelques grandes tendances : progrès de l’alphabétisation et de la scolarisation, évolution du rapport Humain-Animal, lent affranchissement des famines et des épidémies, développement de la mécanisation et des rendements, élévation des revenus paysans et diminution de la mendicité. On note aussi, tout au long du siècle, la lente régression du loup, une attention croissante portée aux enfants, un effet d’entraînement des « élites agricoles », l’amélioration génétique des cheptels et des espèces végétales, le déclin des foires, etc.

Derrière l’apparente immobilité de la vie locale apparaissent des périodes bien marquées. De 1789 à 1815, les gens de la terre vivent « à l’ombre de la guerre » et des secousses révolutionnaires ; les identités villageoises s’opposent souvent aux changements de régimes et aux nouveautés politiques venues de Paris. Entre 1816 et 1851, l’essor démographique bouscule les cadres traditionnels et les campagnes s’ouvrent sur l’extérieur (routes, écoles, service militaire). De 1852 à 1879, les échanges économiques s’intensifient, le progrès est célébré, les coutumes s’effacent et les disparités géographiques s’accentuent. Enfin, de 1880 à 1914, l’agriculture s’industrialise, les coopératives fleurissent et le fort exode rural occasionne une première déprise agricole.

Cette « longue chaîne de témoignages » montre le monde agricole au quotidien, dans son espace géographique, économique, culturel et social. Elle redonne la parole aux paysans, restitue les mentalités et la vie matérielle, « le temps long des structures et le temps court des événements ». Le profond intérêt de ce livre fait que nous attendons avec impatience le quatrième et dernier volume de la série, qui devrait porter sur les années allant de la Première Guerre mondiale à aujourd’hui.

Bruno Hérault, Centre d’études et de prospective

Lien : Tallandier

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