Décentraliser la production d’ammoniac pour la décarboner
Dans un article publié en mai 2024 dans Nature Food, une équipe de recherche internationale évalue l’intérêt économique, d’ici 2050, d’une production d’ammoniac décentralisée au plus près des zones de consommation agricole. Il s’agit en particulier d’identifier des régions et des modes de production compétitifs, pour réduire drastiquement l’empreinte carbone des engrais azotés chimiques.
La fabrication de l’ammoniac est relativement peu coûteuse, mais elle est énergivore et fortement émettrice de dioxyde de carbone. Son optimisation a débouché sur une concentration au sein de grands sites industriels éloignés des zones de consommation. Ensuite, pour être acheminé, l’ammoniac doit alors être transformé en éléments solides (dont l’urée).
Une baisse des émissions liées au processus industriel est possible, notamment via l’utilisation de sources énergétiques décarbonées. Toutefois, les émissions liées au transport et à l’utilisation d’urée subsisteraient. Les chercheurs étudient donc la faisabilité économique d’une décentralisation de la production, dans des unités de petite taille, à proximité des zones de consommation. Deux solutions techniques sont privilégiées : la voie traditionnelle (procédé Haber-Bosch mais à partir d’énergies renouvelables) ou l’électrocatalyse.
Faisant l’hypothèse d’une baisse des coûts de production au fil du temps, les auteurs estiment la fraction de la production décentralisée qui pourrait être concurrentielle pour les agriculteurs, ammoniac issu du processus industriel classique. Ces estimations sont faites pour 2020 (situation de référence), 2030 et 2050. La comparaison est réalisée pour différents scénarios de prix de l’ammoniac et de coûts de transport, et dans plusieurs zones géographiques (figure). Les prix aux producteurs varient ainsi entre le prix médian 2004-2022 (avec coûts de transport négligeables) et le prix au 95e percentile renchéri par des coûts de transport élevés.
La compétitivité de l’ammoniac produit auprès des agriculteurs peut être atteinte en 2030 dans toutes les zones géographiques, à l’exception de quelques situations locales spécifiques, et à la condition que le prix mondial (coûts de transport inclus) reste à un niveau élevé, autour de celui atteint après le déclenchement de la guerre en Ukraine. En revanche, en 2050, la compétitivité-coût pourrait être atteinte pratiquement partout, dans l’hypothèse d’un prix médian, avec prise en compte des coûts d’acheminement jusqu’aux champs.
Évolution de la compétitivité relative de l’ammoniac décentralisé par rapport à l’ammoniac industriel, dans les zones de consommation
Source : Nature Food
Lecture : pour chaque pixel, le coût de la production décentralisée d’ammoniac est déterminé sur la base de la première année qui atteint la compétitivité-coûts entre 2020 (rouge), 2030 (bleu) et 2050 (vert). Le coût est comparé à celui de la production centralisée et au coût de l’ammoniac au point de demande, y compris le coût du transport. Les coûts de référence sont de 390 €/t, 780 €/t et 1 063 €/t d’ammoniac, choisis respectivement parmi les prix médian, 95e centile et maximum du prix historique du marché de l’ammoniac. Le coût du transport s’ajoute aux différents prix, entrainant un doublement du prix au point de demande. Les pixels de couleur jaune représentent les régions où la production décentralisée n’est jamais compétitive. La voie traditionnelle à partir d’énergies renouvelables correspond aux cartes de gauche et l’électrocatalyse à celles de droite.
Muriel Mahé, Centre d’études et de prospective
Source : Nature Food