Histoire de l’institutionnalisation de la compensation carbone par les sols agricoles

Le Cambridge Journal of Economics a publié une analyse rétrospective de l’institutionnalisation de la compensation carbone fondée sur la séquestration dans les sols agricoles. Les auteurs expliquent comment cette dernière est progressivement devenue une solution légitime d’atténuation du changement climatique, malgré de nombreuses controverses. En retraçant l’histoire de la diffusion de cette idée, ils identifient trois périodes clés.

Premièrement, les objectifs climatiques actuels ont été progressivement définis en termes de « réductions d’émissions nettes », plutôt que brutes, jusqu’à aboutir au concept de « neutralité climatique » utilisé aujourd’hui. Dès les années 1970, les modèles de cycle du carbone ont mobilisé une vision en termes de « sources » et de « puits de carbone », qui a institué une équivalence entre émissions de carbone fossile et séquestration de carbone organique, malgré des différences biogéochimiques et de nombreuses incertitudes (non-permanence du stockage de carbone organique, difficultés de mesure, etc.). Ce mouvement a alimenté les premières propositions politiques de séquestration par le puits forestier, comme alternative plus flexible et moins couteuse pour atténuer le changement climatique, par rapport aux réductions d’émissions. La séquestration du carbone organique a ensuite gagné en légitimité politique, comme stratégie de compensation, au cours des années 1980, notamment via le soutien du Congrès américain et la promotion des marchés du carbone par des économistes de l’environnement.

Dans les années 1990, les sciences du sol, qui s’intéressaient jusqu’alors à leur conservation, se sont emparées des enjeux climatiques afin de gagner en visibilité. Les pédologues ont ainsi fait évoluer leur narratif et ont redéfini les pratiques de gestion des sols sous l’angle des « flux de carbone ».  Dans un contexte de soutien politique à la compensation, ils ont commencé à quantifier le potentiel de séquestration du carbone dans les sols agricoles, en dépit du fait que ces derniers émettaient davantage qu’ils ne stockaient.

Enfin, à partir de la fin des années 1990, des économistes ont évalué la compétitivité du stockage dans les sols agricoles, par rapport à la réduction d’émissions fossiles, traduisant en opportunité économique le potentiel physique de séquestration des sols. L’économie agricole a ainsi encouragé le marché de la compensation carbone, perçu comme plus efficace économiquement, bien que ce système pose des problèmes relatifs à l’estimation du carbone réellement stocké et à la rémunération des agriculteurs.

Marie Martinez, Centre d’études et de prospective

Source : Cambridge Journal of Economics

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