L’émergence d’une coalition entre syndicats de techniciens forestiers et écologistes

Dans un article publié par la revue Les mondes du travail, Charlotte Glinel (Sciences Po Paris) s’intéresse au rapprochement intervenu entre les syndicats de techniciens de l’Office national des forêts (ONF) et les associations de protection de l’environnement, face aux évolutions de la foresterie publique. Elle poursuit ainsi ses travaux sur les coalitions entre des acteurs du milieu forestier que tout semble opposer (voir à ce sujet une précédente brève).

L’auteure rappelle, dans un premier temps, l’impact des tempêtes de 1999 sur le marché du bois et sur l’équilibre financier de l’ONF. Ces événements accélèrent le rythme de réformes tournées vers la productivité (diminution des effectifs, reconfiguration des tâches, etc.), et vers une exploitation plus intensive de la forêt. Le dialogue social devient difficile et « un profond malaise » gagne les travailleurs publics, soumis à des injonctions contradictoires entre obligation de résultats commerciaux et gestion durable dans le cadre des politiques climatiques (transition bas carbone).

L’article revient ensuite sur la convergence d’intérêts entre syndicats de techniciens et associations écologistes, qui prend forme à l’occasion du festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges, en 2010. Les militants environnementalistes s’inquiètent des conséquences des programmes d’augmentation des récoltes de bois sur la diversité forestière de Lorraine. Un collectif, SOS Forêt, prend forme autour de la promotion d’une « sylviculture irrégulière ». Ce mode de gestion consiste à maintenir le couvert en sélectionnant individuellement les arbres à couper. Il concilie les intérêts des deux groupes car « il nécessite une présence dense de forestiers sur le terrain » (donc des recrutements), pour suivre l’état de la ressource, et permet d’éviter les coupes rases.

Mais une telle coalition « n’avait rien d’évident », explique l’auteure. Les cultures politiques des acteurs coalisés sont différentes, et l’intervention de « marginaux-sécants » est nécessaire. Ces derniers, ingénieurs et techniciens de l’ONF appartenant à des réseaux naturalistes, ou ingénieurs forestiers travaillant pour des associations écologistes, sont à l’interface entre les deux milieux. Ainsi, en travaillant sur des dossiers locaux et concrets, les militants associatifs apprennent à argumenter dans un langage expert, tandis que les syndicalistes forestiers se déprennent de leur vision technique et gestionnaire, et s’ouvrent aux nouvelles attentes de la société. Le collectif SOS Forêt se structure ensuite à l’échelle nationale, avec le renfort d’organisations telles que les Amis de la Terre ou Pro Silva Europe. Il contribue aux débats sur la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, gagne en crédibilité, et rejoint les campagnes européennes contre le bois-énergie.

Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective

Source : Les mondes du travail

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