Sociologie de l’alimentation, Philippe Cardon, Thomas Depecker, Marie Plessz

Cardon.jpg

Les éditions Armand Colin sont réputées pour la qualité de leurs manuels universitaires. Celui-ci, consacré à l’analyse sociologique du fait alimentaire, ne ternira pas cette image. Clairement rédigé, très documenté, associant constamment l’évolution des réalités et celle des concepts théoriques, il brosse un panorama complet des grands enjeux actuels.

L’alimentation vue par le sociologue, ce sont d’abord des processus de socialisation, des types de consommation conditionnés par des styles de vie ou des budgets, des normes qui régulent les besoins, l’expression inégalitaire et genrée de goûts et de dégoûts. Ce sont aussi des tâches ménagères et du travail domestique, des rapports à la tradition et à la nouveauté, des cuisines régionales ou familiales, l’expression d’habitus et de frontières qui distinguent les générations, les groupes sociaux ou les nations. Ce sont enfin des motivations et attitudes de consommateurs de plus en plus informés, critiques et méfiants, libres mais moutonniers.

L’alimentation du sociologue, c’est aussi l’insertion du mangeur dans un vaste système culturel fait de valeurs, de croyances religieuses, de manières de tables, de rites et de signes identitaires à décoder. L’héritage historique, ou les traditions inventées, sont une richesse patrimoniale en même temps qu’un espace symbolique assurant des revenus économiques et des fréquentations touristiques. Loin de gommer les différences et de conduire à l’occidentalisation des assiettes, la mondialisation a multiplié les transferts interculturels et les échanges de recettes.

La sociologie s’intéresse aussi aux politiques nutritionnelles des États, aux stratégies des entreprises agroalimentaires, aux actions des associations et ONG, aux prises de position des chercheurs et médecins. Ces différentes catégories d’acteurs sont en constante interaction, qu’il s’agisse de normer des produits, d’encadrer les marchés, de réguler les innovations techniques, de garantir la santé des populations ou de prévenir des risques.

L’ouvrage n’oublie pas de retracer l’histoire des nombreux mouvements de réforme et de responsabilisation de la consommation alimentaire, depuis l’ancienne éducation à l’économie ménagère des familles pauvres, jusqu’aux plus récentes injonctions nutritionnelles et sanitaires, en passant par les constantes critiques de l’industrialisation et la promotion de modèles alternatifs : végétarisme, végétalisme, véganisme, flexitarisme, instinctothérapie, lutte contre le gaspillage, recyclage, circuits courts, durabilité et retour à la nature, etc.

Cette lecture s’impose à tous ceux qui veulent comprendre les mutations des systèmes et conduites alimentaires, tant en France que sous d’autres latitudes ou dans d’autres ères culturelles. Ils constateront que la sociologie de l’alimentation, riche de ses méthodes et de ses résultats, est aussi une excellente introduction à la sociologie générale des sociétés contemporaines.

Bruno Hérault, Centre d’études et de prospective

Lien : Éditions Armand Colin

image_pdfimage_print