Le positionnement toujours spécifique des femmes dans les exploitations agricoles

La revue Travail, genre et sociétés consacre le dossier de son dernier numéro aux agricultrices, ce qui est l’occasion de revenir, à l’aide d’approches ciblées, sur certaines des évolutions récentes intervenues (ou pas) depuis les dernières modifications de statut. Ainsi, en 2015, la transparence des GAEC a été appliquée aux groupements entre conjoints, ces derniers étant permis depuis 2010.

Le dossier s’ouvre par un entretien avec la sociologue Rose-Marie Lagrave, qui a largement participé à l’affirmation d’un courant de recherche sur les femmes en agriculture. Ces dernières étaient en effet, selon elle, « invisibilisées » sur les plans statistique, professionnel et social. Si des progrès ont été accomplis au fil des années, avec des avancées majeures en matière de droits sociaux (retraite, formation, accidents du travail, etc.), au cours des années 2000, les recherches sur l’activité des femmes en agriculture, leur positionnement et leurs trajectoires professionnelles restent encore peu nombreuses. De même, en dépit des combats menés pour une meilleure reconnaissance professionnelle et sociale, elles sont restées en marge des mouvements féministes, pour lesquels elles symbolisaient l’adhésion à un modèle patriarcal inégalitaire.

De son côté, Alexandre Guérillot a mené une enquête auprès de plus de 1 200 femmes, exploitantes agricoles en bio et exerçant sous différents statuts : co-exploitantes, associées, cheffes, salariées sur l’exploitation familiale, etc. Il montre qu’elles sont encore souvent cantonnées à des fonctions « féminines » : administration, soins des animaux, transformation, vente et communication, etc. Pourtant elles sont nombreuses (un quart environ) à souhaiter exercer des fonctions typiquement « agricoles », comme la conduite des engins ou à vouloir peser sur les décisions prises. Plus significatif encore, les trois quarts des répondantes souhaiteraient réduire les tâches qui leur incombent. Dans l’ensemble, les représentations comme les places assignées restent fortement genrées en agriculture.

À partir de l’analyse, en parallèle, des trajectoires parentales et professionnelles d’une cinquantaine de cheffes co-exploitantes en couple, Clémentine Comer met en évidence l’importance de l’investissement dans la maternité et dans les tâches domestiques, comme réponse à un sentiment de déclassement professionnel, pour ces femmes dont la décision de s’installer est plus souvent subie que choisie. Elles cherchent une forme de reconnaissance dans l’engagement en faveur de ce modèle familial autant que professionnel, ce qui les conduit à le défendre.

Muriel Mahé, Centre d’études et de prospective

Source : Travail, genre et sociétés

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