Gains de productivité agricole et usage des terres au niveau mondial : y a-t-il un « effet rebond » ?

Depuis les années 1990, les gains de productivité globale des facteurs (PGF) ont contribué pour trois quarts à l’augmentation de la production agricole mondiale. Leurs conséquences environnementales sont, en revanche, plus complexes à caractériser : s’ils permettent, à production constante, d’économiser des facteurs (engrais, terre, travail, etc.), les gains de PGF peuvent aussi engendrer un « effet rebond » en incitant à produire plus et, in fine, conduire à une utilisation accrue de ces facteurs. Dans un récent article, N. Villoria propose une analyse quantifiée de ces phénomènes, en se concentrant sur les changements d’usages des terres et les impacts environnementaux associés (gaz à effet de serre – GES, biodiversité). Il tient également compte des effets indirects puisque les gains de productivité, dans un pays, peuvent influencer l’usage des terres dans le reste du monde via des différentiels de compétitivité induits.

L’étude se base sur un modèle statistique d’expansion de l’évolution des terres, développé par l’auteur, qui dépend des gains de PGF dans le pays considéré, des différentiels de PGF entre les pays (effets indirects), et d’autres variables explicatives telles que la demande alimentaire (population, PIB) et les prix des facteurs (engrais, terres) aux niveaux domestique et mondial. Les barrières au commerce sont également prises en compte, dans la mesure où elles peuvent atténuer les effets indirects entre les États. Des indicateurs permettent d’estimer les conséquences pour les émissions de GES et d’identifier les écosystèmes affectés par les changements d’usage des terres.

Les résultats montrent que, si les gains de PGF dans un pays donné s’accompagnent bien de l’expansion des terres agricoles dans ce même pays (effet rebond domestique), celle-ci est plus que largement compensée par une réduction causée par les gains de PGF dans le reste du monde. Au niveau mondial, en l’absence de gain de productivité sur la période 2001-2010, 125 millions d’hectares agricoles supplémentaires auraient ainsi été nécessaires pour répondre à la demande, avec une hausse associée des GES comprise entre 17 et 84 Gt de CO2 équivalent. Ces effets indirects sont décomposés par grandes zones géographiques (cf. figure). En revanche, l’auteur montre, par une simulation sur 2018-2023, que le rythme actuellement plus faible des gains de productivité risque de préparer une augmentation de l’expansion des terres agricoles à l’avenir. 


Effet de la croissance de la PGF dans différentes régions (axe horizontal) sur le changement des terres cultivées dans les régions cibles (axe vertical), sur la période 2001-2010

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Note : calculs de N. Villoria basés sur des estimations de paramètres dans SMS-3

Source : Environmental Research Letters

Julien Hardelin, Centre d’études et de prospective

Source : Environmental Research Letters

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