« Classes sociales au foyer », de la cuisine ouverte en HLM aux maisons d’agriculteurs

La dernière livraison des Actes de la recherche en sciences sociales est consacrée à l’espace domestique et à sa place dans les rapports de classes et de genres.

Étant donné le rôle des repas dans l’organisation du travail ménager, la question alimentaire affleure dans plusieurs articles. Ainsi, dans l’étude de Pierre Gilbert (université Paris 8) sur l’introduction de la cuisine ouverte dans les appartements des cités HLM, un intérieur « à l’américaine » paraît peu compatible avec la préparation de plats élaborés, salissants et très aromatiques. Cette nouvelle architecture, qui permet de gagner des mètres carrés habitables, accompagne « un processus plus large de transformation des habitudes culinaires en milieu populaire », vers la consommation de plats préparés et/ou surgelés. Ses effets sur le monde privé des classes populaires ne sont cependant pas mécaniques : loin de les aligner sur le mode de vie des classes moyennes, la cuisine ouverte fait l’objet de différentes résistances ou « réappropriations hétérodoxes », que l’article analyse finement.

Gilles Laferté (Inra) s’intéresse lui aux résidences des agriculteurs céréaliers du Germanois (nord-est de la France), en voie « d’embourgeoisement ». L’auteur, qui a visité une cinquantaine de maisons, décrit différents intérieurs dans le détail. Le grand pavillon, souvent auto-construit ou revalorisant des bâtiments de ferme plus anciens, constitue « la forme dominante de l’habitat agricole ». Ces bâtisses démesurées renvoient à « un art classique du recevoir », « faisant de son propriétaire le continuateur historique de la souche familiale », alors même que les occasions de se réunir sont devenues rares. Si habiter dans un château demeure inenvisageable – plus par modestie que par manque de moyens –, les agriculteurs s’emploient à « ennoblir leur pavillon » en usant de divers artifices : pignons, décoration intérieure, mise en valeur d’objets du patrimoine paysan, etc. L’auteur montre que leurs goûts évoluent au contact de ménages néo-ruraux « gentrifieurs », vers des formes proches de la maison de vacances (baies vitrées, terrasses en teck, etc.).

Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective

Source : Actes de la recherche en sciences sociales

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