Le syndrome du bien-être, Carl Cederström, André Spicer

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Aujourd’hui, se préoccuper de son bien-être est une obligation mentale qui s’impose à chacun de nous. L’individu contemporain est sommé de surveiller sa santé, de canaliser son stress, de souhaiter et de trouver le bonheur. Ce livre ne critique ni n’encense ces évolutions, il cherche à les comprendre en montrant comment ce souci de soi s’est transformé en idéologie, en impératif moral, et en décrivant les tendances qui accompagnent ces nouvelles convictions : coaching, méditation, désir d’authenticité, créativité artistique, fitness, etc., sans oublier les nouveaux rapports à l’alimentation.

L’inquiétude relative au contenu de nos assiettes est centrale dans cette quête de la santé parfaite. Pour les auteurs, le plaisir des papilles et de la commensalité est de plus en plus remplacé par des impératifs diététiques et médicaux. Ce « manger sainement » s’exprime à travers une multitude d’attitudes et de pratiques : observance de régimes, jeûne, approvisionnement local, « fait maison », self-tracking, éducation nutritionnelle en entreprise, etc. Tout ceci procure à bon compte un sentiment de contrôle de soi, de développement personnel et d’élévation morale. Vivre de nouvelles expériences culinaires permet d’affirmer sa modernité et de se distinguer en société.

Ce rigorisme alimentaire modifie la façon dont nous percevons notre corps, ennemi qu’il faut discipliner au prix d’un contrôle tatillon des variations de poids. Dorénavant, manger génère de la tentation, de la honte et de l’anxiété. Plus globalement, les nouveaux « bien mangeants » stigmatisent les récalcitrants, ceux qui ingurgitent trop, trop souvent, trop gras, trop sucré, trop carné, tous les transgresseurs qui mettent en péril leur vie et l’ordre social, et coûtent à la société. Cette culpabilisation des déviants alimentaires, largement entretenue par le néo-hygiénisme des médias, charrie avec elle beaucoup de jugements moraux et de mépris social.

Selon Cederström et Spicer, plus nous démultiplions nos efforts pour accroître notre bien-être alimentaire, et plus nous devenons frustrés, angoissés, hypersensibles à des sources de mal-être. Au lieu de nous rendre heureux, ce nouvel ascétisme fabrique surtout du repli, du narcissisme, et nous enferme dans un cercle vicieux. Pour ne pas nous condamner à être des mangeurs malheureux, acceptons donc nos imperfections, notre finitude, arrêtons de repousser sans cesse nos limites et de vouloir tout contrôler.

Bruno Hérault, Centre d’études et de prospective

Lien : Éditions l’Échappée

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