Les représentations sociales du « bien manger »
On sait combien les images, les opinions et les manières de voir la réalité sont importantes dans la vie en société, et en particulier en matière d’alimentation. Depuis 1988, le CREDOC réalise régulièrement des études quantitatives, basées sur une méthode d’analyse lexicale, et spécifiquement centrées sur les représentations sociales du « bien manger ». La huitième vague d’enquête, conduite en 2013 auprès de 1 200 ménages et dont les résultats viennent d’être diffusés, présente l’état actuel de ces représentations, mais est aussi l’occasion de montrer les transformations intervenues sur les vingt-cinq dernières années.
En 2013, à la question « pour vous, qu’est-ce que bien manger ? », les femmes utilisaient plutôt des mots du champ lexical de la nutrition et de la diététique (« légumes », « protéines », « laitiers »), alors que les hommes privilégiaient des termes exprimant les idées de satiété, de goût, de convivialité. En matière d’âge, les 15-24 semblaient très réceptifs aux messages de santé publique (« grignoter », « fruits », « gras », « cinq »), alors que les 35-44 ans insistaient sur « famille » et les 55-64 ans sur « naturel », « modération », « normalement ». Pour ce qui est des catégories socio-professionnelles, les contrastes étaient marqués entre les agriculteurs exploitants (idées de variété et de saveurs), les cadres et professions intellectuelles supérieures (« bonnes choses », « bio », « vin »), les cadres moyens et professions intermédiaires (« cuisine », « saine »), les employés (lexiques de la nutrition et de la diététique) et les ouvriers (« copieux », « correctement », « chez soi »). Au-delà de ces différences, le CREDOC considère qu’existaient six classes de représentations du « bien manger », à savoir : « manger équilibré » (25 %), « privilégier tels plats et aliments » (21 %), « acte social » (20 %), « fait maison » (15 %), « manger à satiété » (11 %), « discours nutritionnel » (8 %).
L’étude de l’évolution des représentations du « bien manger », de 1988 à 2013, révèle quelques tendances intéressantes. Il y a tout d’abord une influence évidente des messages publics nutritionnels sur le vocabulaire et les discours des mangeurs. Parallèlement, les crises alimentaires ont contribué à fragiliser la notion de « bonne alimentation » et à la faire percevoir comme un « problème ». Troisièmement, si certains mots ont des fréquences d’usage stables dans le temps (« bon », « repas », « faire »), d’autres sont nettement descendus dans le classement (« enfants », « fête », « café », « hors-d’œuvre », « sauces », « mets », « lourd », « ordinaire », « calorie ») ou au contraire fortement montés (« bio », « assiette », « raisonnable », « grignoter », « salé », « sucré », « eau », « protéines », « féculents »). En conclusion, le CREDOC souligne que les réponses sont au fil du temps de plus en plus stéréotypées et formatées, que la « nutritionnalisation » des discours est tangible et que les représentations sociales de l’alimentation sont un bon miroir des mutations sociales plus globales.
Bruno Hérault, Centre d’études et de prospective
Source : CREDOC