L’industrie de la restauration, pièce essentielle des réseaux de l’immigration chinoise aux États-Unis
Le New Yorker consacre un reportage aux réseaux d’immigration chinois aux États-Unis, en suivant Rain, un immigré originaire d’un village de la région de Fuzhou, arrivé à New York avec un faux passeport fourni par le réseau de passeurs des Snakeheads. Après des escales en France et au Mexique, Rain rejoint New York pour travailler comme employé dans les restaurants chinois de Chinatown. Des réseaux familiaux, mais surtout des réseaux d’intermédiaires (agences de travail, avocats spécialisés dans le droit d’asile) favorisent son entrée sur un marché du travail souterrain, où il fait l’expérience de formes brutales d’exploitation et d’isolement social.
Les employés de la restauration, immigrés illégaux ou couverts par le statut d’étudiant étranger, sont chargés rapidement de tâches importantes (accueil et prise de commande, souvent pour les femmes ; manutention et préparation des plats). Passant de restaurant en restaurant, ils changent de poste, montent en grade, vont travailler plus loin des centres urbains pour être mieux payés et mieux traités. Ils cherchent bien sûr à obtenir l’asile politique,puis la green card. Ils aspirent dès que possible à trouver un travail dans un secteur moins usant, et changent de logement, avec une montée en gamme au fur et à mesure qu’ils remboursent les prêts qui leur ont permis de payer le passage.
Ils découvrent aussi une cuisine chinoise réinventée aux États-Unis pour complaire au goût américain : mets frits, faciles à manger – les clients sont « trop fainéants » pour décortiquer les morceaux contenant des os, explique Rain.
L’article donne de nombreux chiffres. Ceux, connus, du nombre de restaurants chinois aux États-Unis (40 000, trois fois plus que le nombre de concessions McDonald’s). Mais aussi ceux, plus difficiles à trouver, des frais de passage (70 000 dollars pour Rain, mais moins dans les régions où la pression migratoire est moins forte), divers frais d’avocat, des loyers, confrontés au revenus possibles dans le secteur (2 000 dollars par mois) et à ceux possibles en Chine (4 700 dollars par an dans le secteur privé). Il rend aussi compte de mutations dans l’industrie de la restauration chinoise, par exemple le déclin des Cantonais au profit des restaurateurs originaires de la région de Fujian. Mais loin d’une success story communautaire univoque, l’accès au rêve américain est lourd de contradictions : l’immigration américaine, par les flux financiers vers les familles, enrichit les régions d’origine, mais « avoir un fils aux États-Unis, c’est comme ne pas avoir de fils du tout », explique le père de Rain.
Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective
Source : New Yorker