Une expertise scientifique collective sur les « Mafor », matières fertilisantes d’origine résiduaire, et leur valorisation sur les sols agricoles
Le 3 juillet 2014 a eu lieu le colloque de restitution de l’expertise scientifique collective « Mafor », commanditée par les ministères de l’agriculture et de l’écologie et réalisée par l’Inra, le CNRS et l’Irstea. Ce travail portait sur la valorisation des matières fertilisantes d’origine résiduaire (Mafor) : il visait à faire le bilan des connaissances sur « les bénéfices agronomiques des Mafor et les impacts de leur épandage en termes de contaminations potentielles des écosystèmes, en tenant compte des intérêts, contraintes et conséquences économiques et sociales de cette pratique ». L’évaluation des risques sanitaires fait quant à elle l’objet d’une saisine de l’Anses.
L’étude a permis de dresser un état des lieux de l’utilisation des Mafor en France. Les effluents d’élevage en représentent la très grande majorité avec 274 Mt brutes en 2012, dont 50% émis directement dans les pâtures. À côté de cela, il existe des Mafor d’origines urbaine et industrielle : environ 0,7 Mt sèches de boues d’épuration urbaines, 2,2 Mt brutes de composts et digestats issus de déchets urbains et 1,8 Mt sèches d’effluents industriels (ex : vinasses de betterave). En 2011, 25% des surfaces de grandes cultures et 30% des prairies ont reçu des Mafor, mais avec de fortes disparités régionales.
Les auteurs de l’étude ont ensuite qualifié la valeur agronomique des Mafor : ces dernières comportent une valeur fertilisante en éléments minéraux (N, P, K) et une valeur amendante (enrichissement en matière organique), qui peuvent chacune varier en fonction des éventuels traitements appliqués (méthanisation, séchage, compostage). Si elles ont des valeurs fertilisantes en phosphore et potassium équivalentes à celles des engrais minéraux, la situation est différente pour l’azote en raison de sa présence sous forme organique dans les Mafor. Les Mafor sont la seule source renouvelable de phosphore et, à l’échelle de la France, « les quantités de phosphore présentes dans les Mafor pourraient couvrir l’ensemble des prélèvements annuels de phosphore par la production agricole ».
Outre les pertes possibles de carbone vers l’environnement (sous forme de méthane ou de composés organiques volatils), les scientifiques ont analysé les risques de transfert d’agents biologiques pathogènes et d’apport de contaminants chimiques. Bien que le lien de cause à effet entre épandage de Mafor et transmission de maladies soit difficilement établi, des agents pathogènes (bactéries, virus, parasites) sont fréquemment détectés dans les effluents d’élevage bruts. Certains traitements (compostage…) permettent d’en abattre la charge potentielle. Par ailleurs, l’épandage de Mafor est susceptible de favoriser la dissémination de l’antibiorésistance dans l’environnement. S’agissant des contaminants chimiques, deux types ont été distingués : les ETM, éléments traces métalliques (principalement cuivre et zinc mais aussi plomb, mercure, cadmium…), qui peuvent s’accumuler dans les sols, même si les apports sont de faible quantité ; et les CTO, composés traces organiques, plutôt d’origine anthropique (molécules pharmaceutiques, résidus de pesticides, PCB, HAP, bisphénol, etc). À l’inverse des ETM, les CTO sont dégradables et peuvent se transformer en divers métabolites. Ils sont plus ou moins persistants dans les sols, et sont susceptibles d’être transférés dans les matières premières alimentaires (accumulation possible dans les tissus graisseux, le lait ou les œufs par exemple).
En conclusion, les Mafor représentent un potentiel non négligeable pour se substituer au moins en partie aux engrais minéraux de synthèse. À ce titre, elles peuvent utilement contribuer au bouclage des cycles (P, K…), au recyclage des déchets et à l’économie circulaire. En revanche, pour optimiser leur utilisation (maximiser l’efficacité agronomique et minimiser les risques environnementaux), il sera nécessaire d’intégrer l’ensemble des caractéristiques des filières de production et de traitement des déchets, d’optimiser les pratiques d’épandage et les périodes d’apport, d’évaluer l’acceptabilité des pratiques et leur balance coût/bénéfice, et enfin de poursuivre les recherches sur les contaminants des Mafor (ex : nanoparticules).
Noémie Schaller, Centre d’études et de prospective
Source : INRA