INDE : de l’assurance-récolte à la stabilisation des revenus ?

Dans un pays où l’agriculture est fortement dépendante de la régularité de la mousson (près de 80% des apports pluviométriques annuels), les dégâts aux cultures provoqués par les aléas climatiques, la sécheresse au premier chef, affectent directement la viabilité de l’activité agricole. Cette vulnérabilité est d’autant plus forte que la couverture de l’irrigation est encore partielle (environ 43%) et que les ressources de la plupart des agriculteurs indiens sont limitées (85% des exploitations ont moins de 2 ha). Dans ce contexte marqué notamment par des vagues de suicides en milieu rural (plus 250 000 de 1995 à 2012, soit plus de 20 000 par an – National Crime Records Bureau), la réforme des dispositifs assuranciels dans le secteur agricole est l’une des priorités du nouveau gouvernement. Annoncée au mois de mai, dès le premier discours du ministère de l’agriculture, elle a été officiellement lancée par un séminaire intitulé « Farm Income Insurance », organisé le 4 septembre dans l’État du Gujarat.

Jusqu’à présent, l’Inde a mis en place plusieurs dispositifs relevant d’une logique d’assurance-récolte. Le plus ancien, le National Agricultural Insurance Scheme (NAIS) a été introduit en 1999 et souscrit, fin septembre 2012, par 203 millions d’agriculteurs (soit une moyenne de 15,6 millions par an), permettant de couvrir un total de 307 millions d’hectares. Basé sur des indices de rendement établis par zone géographique, l’indemnisation prévue par le NAIS est calculée sur la base de l’écart entre le rendement constaté et la moyenne des cinq dernières années. Ce système de compensation est toutefois fortement critiqué : des délais de versement des indemnisations trop longs (6 à 8 mois, parfois plus d’un an), dans un pays où sont conduites deux cultures par an (Kharif et Rabi), les agriculteurs frappés par une calamité devant souvent préparer la nouvelle culture avec une trésorerie vide ; un niveau des montants jugé souvent inférieur aux pertes réelles du fait de l’application d’indices de rendement forfaitaires. Pour pallier ces défauts, deux autres systèmes ont été mis en place :

  • le Wheater Base Crop Insurance Scheme (WBCIS) : basé sur des indicateurs climatiques (températures, pluviométrie, humidité), il vise à évaluer plus rapidement et objectivement les aléas naturels et les dommages associés ; mis en place en 2007, il a été adopté majoritairement par le Rajasthan, État qui concentre les 2/3 des quelques 46 millions de paysans couverts par ce système depuis sa création ;

  • le Modified National Agricultural Insurance Scheme (mNAIS) : expérimenté à partir de 2010, ila vocation à remplacer progressivement le NAIS en apportant des améliorations significatives (possibilité d’avances sur l’indemnisation, révision des modalités de calcul du rendement moyen, extension de la couverture à de nouveaux risques – pertes au semis par exemple). À ce stade, ouvert pour la première fois aux compagnies d’assurance privées, le mNAIS a été souscrit par 4,5 millions d’agriculteurs pour 4,6 millions ha couverts (soit 1,5 millions d’agriculteurs par an).

Malgré ces récentes évolutions et en dépit des chiffres impressionnants de souscription, le dispositif rénové demeure imparfait : le NAIS est largement déficitaire (de 1999 à 2012, 3,5 milliards d’euros d’indemnisations pour 1,07 milliard d’euros de primes d’assurance) et paraît difficilement soutenable dans un contexte de fort déficit budgétaire ; l’adhésion à ces instruments est faible (seuls 17% des agriculteurs indiens sont couverts, en raison essentiellement de l’obligation pour les bénéficiaires de prêts agricoles de souscrire une police d’assurance-récolte).

Compte-tenu de cet historique et pour élargir le bénéfice de l’assurance à la majorité des agriculteurs, le ministère de l’agriculture indienne souhaite passer à un dispositif d’assurance-revenu en s’inspirant d’une expérimentation intitulée Farm Income Insurance conduite en 2003/2004 auprès de 180 000 fermiers. Cette dernière intervenait en cas de chute des revenus en-dessous d’un revenu garanti, calculé au regard du rendement moyen des 5 à 7 dernières années, auquel est appliqué le prix minimum de soutien (minimum support price). L’indemnisation correspondait à la différence du revenu réel et du revenu garanti. A priori, le gouvernement indien s’oriente aujourd’hui vers la reprise de ce schéma en le généralisant. Cet objectif est toutefois très ambitieux, dans la mesure où il requiert de fortes capacités administratives pour en gérer la mise en œuvre et les contrôles, ainsi que des moyens financiers conséquents, sans compter qu’il conviendrait de vérifier la compatibilité de cette subvention au regard des engagements indiens à l’Organisation mondiale du commerce.

Cédric Prévost, Conseiller pour les affaires agricoles, Service Économique Régional de New Delhi, Ambassade de France en Inde

Source : Ministry of agriculture, Government of India

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