L’analyse des discours pour comprendre les controverses écologiques : l’exemple des accrus forestiers
Dans les aires protégées, plusieurs conceptions écologiques s’affrontent quant à la contribution à la biodiversité des accrus forestiers (accroissement de la surface forestière par colonisation spontanée) sur les terres agricoles délaissées. Dans un article récent publié dans Environmental Science & Policy, une équipe européenne de chercheurs s’est basée sur l’analyse des discours pour étudier la diversité des points de vue.
Pour ce faire, elle s’est appuyée sur des entretiens semi-directifs menés (directement ou en puisant dans des travaux antérieurs) dans des parcs en France (parcs nationaux des Pyrénées et des Cévennes), en Espagne (parc naturel du Montseny) et en Écosse (parc national des Cairngorms). Ces sites naturels anthropisés, mêlant en proportion variable forêts, landes et pâturages, sont justement reconnus, au titre de la conservation, par l’interaction ancienne entre l’homme et la nature.
Au sein de ces espaces, les discours sur les accrus forestiers divergent. Pour certains, ils sont synonymes de recul de l’agriculture et des modes de vie traditionnels, responsables de la perte de biodiversité liée à la fermeture des milieux. Pour d’autres, au contraire, ils symbolisent le retour à la nature antérieure de ces espaces. La comparaison des discours est alors intéressante. Pour cela, les auteurs ont utilisé un cadre d’analyse (figure ci-dessous) inspiré des travaux de Hajer, mobilisant les concepts de « lignes narratives » et de « coalitions discursives » pour expliciter les différentes positions et stratégies. De façon originale, ils donnent une importance particulière au contexte écologique réel (état des habitats, modes d’utilisation des terres et dynamique de la biodiversité).
Cadre d’analyse permettant d’identifier les facteurs sociaux et écologiques sous-tendant les discours
Source : Environmental Science & Policy
Afin de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans l’élaboration des différents discours, les auteurs ont cherché à expliciter les rôles i) des intérêts des protagonistes, ii) des représentations dominantes et iii) des discours institutionnels. Ils se sont notamment attachés à décoder les discours des gestionnaires des parcs, mettant en évidence la prééminence des alliances (avec les agriculteurs ou les forestiers, l’opinion publique, les politiques, etc.) sur les arguments écologiques. Leurs positions évoluent d’ailleurs constamment en fonction de débats extérieurs, comme par exemple celui sur le ré-ensauvagement ou sur le changement climatique. Les auteurs concluent à l’importance de mettre en place des modes de gouvernance collaboratifs prenant appui sur des processus délibératifs continus.
Prévalence des différents discours en fonction du type de partie prenante, selon les sites
Source : Environmental Science & Policy
Lecture : les signes + indiquent l’adoption d’un type de discours par le groupe considéré. Les +++ signifient qu’un grand nombre d’entre eux a adopté cette modalité, alors qu’un seul + indique que si ce discours est bien présent, il n’est pas majoritaire.
Muriel Mahé, Centre d’études et de prospective
Source : Environmental Science & Policy