Retour sur 40 ans d’agronomie et perspectives pour une agriculture durable
À l’occasion du départ en retraite de Jean Boiffin (directeur de recherche à l’Inra, premier président de l’Afa), l’Inra et l’Association française d’agronomie ont organisé un colloque intitulé « L’Agronomie, de la question du retournement des prairies à celle de la réduction d’usage des pesticides : itinéraires de recherche et développement ». L’objectif était, à partir de quelques travaux marquants, de retracer les évolutions de l’agronomie sur les 40 dernières années et d’en dessiner les perspectives actuelles.
Les cinq thématiques abordées étaient les suivantes :
La dégradation physique des sols et sa maîtrise. Les travaux ont permis de comprendre les processus érosifs, ainsi que l’organisation spatio-temporelle des états de surface créés par l’agriculture au niveau des bassins versants. Les solutions élaborées en partenariat avec les acteurs de terrain ont consisté à améliorer les pratiques agricoles, à réaliser des aménagements d’hydraulique douce et à organiser une nouvelle gouvernance (syndicats de bassins versants), pour assurer la cohérence spatiale des actions. Aujourd’hui, les priorités sont la conception d’infrastructures agroécologiques (IAE) multifonctionnelles (érosion, biodiversité, etc.), et la limitation par des pratiques et aménagements adaptés des transferts de pesticides liés au ruissellement.
L’implantation des cultures. Les recherches ont abouti à l’élaboration de modèles de prévision de la germination, de la levée et du début de croissance des cultures. Aujourd’hui, le principal défi consiste à réduire les traitements de semences. Les perspectives de recherche concernent l’amélioration génétique des semences, une meilleure connaissance du fonctionnement de l’écosystème « lit de semence-semence-plantule-pathogènes », et le développement de la métagénomique des bactéries et champignons du sol.
La gestion des adventices. Différentes méthodes ont été utilisées en vue de concevoir des systèmes de culture innovants (observation de la flore, analyse des effets des techniques, modélisation, expérimentation système, etc.). Un changement de paradigme s’est opéré entre une situation où l’objectif était de minimiser les adventices dans les parcelles et la situation actuelle où l’objectif est de se situer entre un seuil minimal (assurant un certain niveau de ressources trophiques pour la biodiversité) et un seuil maximal (au-delà duquel on aurait des pertes de rendement). Les principaux défis sont le développement d’outils d’aide à la décision (OAD) pour piloter la flore adventice, et la facilitation de la prise en main de ces OAD par les acteurs de terrain.
Le passage du local au territoire pour traiter les problèmes agri-environnementaux. À partir de l’exemple des pollutions nitriques, il a été montré que les agronomes s’attachent à proposer et évaluer des scénarios alternatifs à différentes échelles, et à construire de nouvelles organisations de territoires avec les acteurs. Le défi actuel serait, au niveau des territoires, de reconnecter l’agriculture et l’élevage dans des paysages plus diversifiés, où l’arbre trouve aussi sa place.
La réduction des intrants et le plan Écophyto. L’exposé a retracé la trajectoire de la protection intégrée des cultures (PIC) : née dans les années 1960 puis marginalisée, la PIC est revenue dans les années 2000, via la réintégration des enjeux de la santé des plantes dans le champ de l’agronomie, et a abouti au plan Écophyto. Ce dernier a permis une mobilisation des agronomes au services des politiques publiques.
Pour finir, les organisateurs du colloque ont souligné la nécessité de poursuivre l’élargissement des échelles de travail (temporelle et spatiale) et des domaines d’étude (filières, changements globaux), et d’investir dans de nouvelles thématiques, tout en capitalisant sur les importants acquis méthodologiques des dernières décennies. Ils ont conclu que la nouvelle frontière pour l’agronomie était désormais la contribution à la conception de politiques publiques à la fois plus précises, plus adaptées et opérationnelles face à la diversité des situations et des milieux.
Noémie Schaller, Centre d’études et de prospective
Source : Association Française d’Agronomie