Essai sur l’histoire des rapports entre l’agriculture et le capitalisme, Thierry Pouch, Classiques Garnier, février 2023

Remobiliser les approches marxiennes de l’économie pour analyser les évolutions actuelles de l’agriculture : l’idée peut sembler étonnante, tant ces approches ont été délaissées par la recherche. C’est néanmoins ce à quoi s’attelle Thierry Pouch, qui entend démontrer la pertinence des analyses de K. Marx concernant l’agriculture.

Dans un premier chapitre, l’auteur revient aux textes du philosophe et économiste allemand et de ses successeurs. Pour K. Marx, le développement du capitalisme implique la dislocation des structures paysannes et la substitution du prolétaire au paysan. Ces analyses ont été prolongées par K. Kautsky, pour qui les dynamiques du capitalisme favorisaient la grande exploitation avec salariés. T. Pouch décrit aussi les controverses qui opposèrent, en Russie, les économistes populistes à Lénine. Emmenés par A. Chayanov, les premiers considéraient que, l’économie paysanne n’ayant pas pour finalité le profit, le capitalisme ne pourrait pas y pénétrer, quand le second voyait là une idéalisation de la paysannerie.

Ces controverses rappellent celles qui eurent lieu en France, au département économie de l’INRA, et qui connurent leur apogée dans les années 1970-80 (chapitre 2). Là où certains, tels J. Cavailhès, voient dans le développement du capitalisme les prémices de la disparition de l’agriculture familiale, d’autres, à l’instar de C. Servolin, mettent en exergue la capacité de la petite production marchande à coexister avec le capitalisme. Les faits ont un temps semblé donner raison aux seconds, l’exploitation familiale s’étant largement maintenue en France jusque dans les années 1990. Mais pour l’auteur, ce maintien n’a été qu’une parenthèse, permise par un contexte particulier désormais révolu : consensus syndical et politique, régulation des marchés par la PAC, etc. Ainsi, dans le troisième chapitre, T. Pouch expose sa thèse : l’absorption de l’agriculture dans et par le capitalisme, décrite en son temps par Marx, est aujourd’hui en voie d’achèvement.

Ce constat justifie, selon lui, de redévelopper des approches marxiennes de l’agriculture. Quasiment absentes des milieux scientifiques français depuis les années 1990, elles ont au contraire connu un renouveau notable au Royaume-Uni, au travers des études paysannes (peasant studies) puis des études agraires critiques (critical agrarian studies). L’auteur y consacre le dernier chapitre de son ouvrage.

Mickaël Hugonnet, Centre d’études et de prospective

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