Une recherche scientifique et des innovations technologiques moins « disruptives »

Publiée en janvier dans la revue Nature, une étude décrit la baisse du caractère disruptif des avancées scientifiques et technologiques, au cours des dernières décennies. Elle porte sur 45 millions d’articles publiés entre 1945 et 2010 (référencés sur le Web of Science, PubMed, American Physical Society, etc.), ainsi que sur 3,9 millions de brevets déposés entre 1976 et 2010 (base Patentsview, Bureau américain des brevets). Les auteurs ont calculé un indice mesurant l’effet d’une contribution (article, brevet) sur les travaux qui lui succèdent. L’indice varie entre -1 (simple consolidation des travaux antérieurs) à 1 (bouleversement des connaissances ou technologies existantes). Basé sur les références faites entre travaux, il est calculé 5 ans après la parution d’une contribution. Au-delà d’un certain seuil (> 0,25), celle-ci est qualifiée de « hautement perturbatrice » car les travaux ultérieurs qui la citent sont moins susceptibles de faire référence à ses prédécesseurs, devenus obsolètes ou moins pertinents. En-deçà, la publication ou le brevet sont considérés comme consolidant plus ou moins les connaissances existantes.

L’indice moyen baisse de manière continue dans tous les domaines de recherche et catégories technologiques. Pour le domaine « Sciences du vivant et biomédecine » (relatif à l’agriculture, aux sciences et technologies alimentaires, etc.), il diminue entre 1950 et 1980, mais de façon moins marquée que pour les autres domaines, et se stabilise ensuite (figure ci-dessous). Pour les brevets, la catégorie « Chimie » (innovations ayant trait notamment à certains composés alimentaires, aux engrais et aux produits phytosanitaires) présente une tendance à la baisse similaire aux autres catégories technologiques, avec une légère remontée à partir de 2005. Ce déclin est également observé par l’analyse textuelle des titres et résumés qui accompagnent les travaux : vocabulaire moins varié ; moindre emploi de verbes relatifs à la création, à la découverte ; etc.

Évolution de l’indice moyen de perturbation (à 5 ans) des publications scientifiques (a) et des innovations technologiques (b)
Source : Nature

Selon les auteurs, la baisse de l’activité perturbatrice d’un nombre croissant de travaux scientifiques et technologiques s’explique par la masse de connaissances à prendre en compte, par les chercheurs et inventeurs, avant d’apporter une contribution réellement novatrice, ce qui est difficilement compatible avec les exigences de productivité auxquelles ils sont confrontés. Pour autant, cette baisse (mesurée en moyenne) et l’augmentation des productions annuelles n’influencent pas la remarquable constance dans le temps, en valeur absolue, du nombre de travaux disruptifs.

Jérôme Lerbourg, Centre d’études et de prospective

Source : Nature