Pesticides. Le confort de l’ignorance, F. Dedieu, Seuil, 2022

Dans ce livre, F. Dedieu (sociologue, Inrae) s’intéresse aux enjeux liés à l’homologation des produits phytosanitaires. Il s’appuie en particulier sur des enquêtes menées entre 2008 et 2016. À partir de la deuxième moitié du XXe siècle, l’utilisation croissante des pesticides a justifié la mise en place d’une évaluation scientifique poussée de leurs risques pour les humains et l’environnement. Tests toxicologiques, seuils d’exposition acceptable et mesures de protection : la « science réglementaire » a encadré a priori les autorisations de mise sur le marché (voir à ce sujet un précédent billet). Toutefois, les alertes sur des effets mal pris en compte et les soupçons de collusion entre industriels et régulateurs se sont multipliés, nourrissant un « climat de défiance ».

L’auteur commence par décrire les logiques d’action de différents acteurs. Les industriels sont soucieux de sécuriser leurs investissements de R&D en respectant les standards d’évaluation et les seuils. Les institutions publiques, chargées d’instruire les demandes d’homologation, paraissent débordées par les demandes, répondant aux urgences (cas des « usages orphelins »), manquant de moyens et contraintes selon F. Dedieu de « bricoler » des expertises. Les standards de qualité commerciale et les impasses agronomiques poussent les agriculteurs, dans certains cas, à réaliser des traitements en surdose ou non déclarés, avec des produits interdits ou en attente d’agrément. Enfin, les acteurs coalisés contre les pesticides (ONG, journalistes, etc.) dépendent de l’agenda médiatique et se focalisent sur les conflits d’intérêt entre régulateurs et industrie.

L’ouvrage éclaire ensuite les mécanismes de « production de l’ignorance », par lesquels des données préoccupantes, des savoirs « inconfortables » et dissonants, sont minorés ou mis de côté lors des procédures d’alerte et d’homologation. La période étudiée a été marquée, entre autres, par une nouvelle phase de normalisation des équipements de protection individuelle (après la découverte de défauts de perméation) et par le transfert à l’Anses de la compétence d’autorisation de mise sur le marché des produits phytosanitaires. Selon l’auteur, les changements introduits en réponse aux critiques restent limités. Enfin, le dernier chapitre esquisse des pistes pour « renforcer la surveillance » post-mise en marché « afin de corriger de manière plus systématique les points aveugles de l’évaluation a priori ». Plus indirectement, il suggère de réduire le nombre de nouveaux pesticides pour désengorger les procédures d’évaluation, via un soutien accru à l’agriculture biologique et une meilleure valorisation des productions utilisant moins de traitements, y compris dans la conception des dispositifs de transition (Écophyto).

Florent Bidaud, Centre d’études et de prospective

Source : Seuil